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pris avec une femme du monde. Le mensonge est l’arme défensive des faibles : Thérèse s’en servait. Une âme plus fière que la sienne n’y eût pas voulu toucher ; une personne plus adroite se serait tirée d’affaire autrement.

— Mais elle a pu tromper Rousseau lui-même ! D’accord ; et nous serons sur nos gardes si les Confessions n’appuient un récit ou une assertion que sur les dires de Thérèse.

Enfin Thérèse était bête ! On nous dit la vérité en termes bien durs. Thérèse n’avait pas d’esprit ; et c’est en effet par bêtise et faiblesse qu’elle s’est laissée aller, avant et après Rousseau, à de graves fautes de conduite. Mais tant qu’il a été à ses côtés, elle a eu assez de bon sens pour ne pas se séparer de lui. Elle lui était sincèrement attachée. Lisez en effet ce qu’elle lui écrivait quand il l’eut quittée en partant pour l’exil : c’étaient les premières semaines de séparation, depuis dix-sept ans qu’ils vivaient ensemble. Elle était restée à Montmorency, et venait de recevoir une lettre de lui :

« Mon cher ami, que le goies que ge ues deureu ceu voier deu voes cher nou vele geu vous a surre que mon nes pries neu tes nes plus arien deu dou leur deu neu paes vous voir e deunous ceupares can pou voir vous dire tous mes santiman quemonquer atous gour êtes pour vous e quies neu changeraesga mes tan que dieu vous doneuraes des gour eamoiosies… »

Vous ne comprenez pas ce charabia : c’est que Thérèse était plus ignorante, plus maladroite à écrire que vous ne l’auriez imaginé ; mais transcrivez sa lettre avec notre orthographe, et tout s’éclaircit :

« Mon cher ami, quelle joie que j’ai eue de recevoir de vos chères nouvelles ! Je vous assure que mon esprit ne tenait plus à rien, de douleur de ne pas vous voir, et de nous (sentir) séparés, sans pouvoir vous dire tous mes sentimens : que mon cœur a toujours été pour vous, et qu’il ne changera jamais, tant que Dieu vous donnera des jours, et à moi aussi. Quelle satisfaction pour moi de nous rejoindre, et de passer toutes nos douleurs ensemble ! Je n’attends que le moment pour vous rejoindre et vous embrasser. Vous savez bien que mon cœur est pour vous, et je l’ai toujours dit : fût-il les mers à passer, et les précipices, pour vous aller trouver, qu’on n’avait qu’à me dire, que je partirais bien vite…

« Mon pauvre esprit n’y était plus, ni la tête : vous me l’avez remis du tout au tout. Mais il sera encore mieux remis quand je