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du troisième. » Tout au plus pourrait-on souscrire à ce jugement sommaire, si en M. Canovas écrivain on ne retenait que le poète et le romancier. Mais M. Canovas écrivain ne s’est jamais identifié avec son roman et ses poésies, qui n’ont jamais été pour lui que les occupations, les obligations ou les distractions de sa jeunesse, un travail à tromper la fatigue des travaux sérieux.

L’unique roman qu’il ait laissé a été conçu au café de La Esmeralda, un jour qu’on avait mal dîné et qu’un éditeur magnifique, attiré par le bruit que faisait le cénacle, avait offert de payer une once d’or chaque manuscrit qu’il accepterait. Sur l’invitation de ce protecteur des lettres, tandis que Luis Eguilaz donnait l’Epée de saint Ferdinand et Diego Luque la Dame du Comte-Duc, Canovas composa La Campana de Huesca ; l’affaire ne fut pas mauvaise pour le libraire, puisque, sans compter ce que rapportèrent les autres, l’ouvrage de M. Canovas n’eut pas moins de quatre éditions. Rien qu’au titre, on reconnaît le genre. « Ce n’est point du Walter Scott, a écrit un critique, mais cela mérite de n’être pas confondu avec les productions dont font leurs délices les amateurs de fantaisies historiques par livraisons. » Péché de la vingtième année qui avait une excuse majeure et dans lequel l’auteur ne s’est pas endurci : dans le péché de poésie, au contraire, il a persévéré jusqu’au seuil de cet âge qu’il vouait « à la pure raison » ; ce fut l’innocente faiblesse d’un homme qui n’eut guère de faiblesses.

Que valent ces vers ? Un de ses compagnons de toute la vie en faisait bon marché et s’amusait à dire : « Je suis un plus grand poète que Canovas et un plus grand homme d’affaires que X… ; car je ne fais point d’affaires, comme X…, ni de vers, comme Canovas. » Mais c’est bien vite dit, et l’on peut louer dans ses poésies la simplicité et le naturel, sans soutenir que la politique nous ait fait perdre en M. Canovas un grand poète. Il ne le croyait pas, il ne le souhaitait pas ; et ce n’était pas comme poète qu’il voulait comparaître devant la postérité. Il a fallu lui faire violence pour recueillir en volume ces pièces fugitives ; il n’a consenti que par crainte que quelque chercheur n’allât, lui disparu, à cause du nom qu’il s’était fait ailleurs, les déterrer dans les journaux ou les cartons où elles gisaient, et les réimprimât avec trop d’indulgence, en n’en condamnant pas assez : « Je n’attache à ces poésies, comme à mes Etudes littéraires, — un autre ouvrage de sa jeunesse, — qu’une fort minime importance. Il ne m’en