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LE DÉSASTRE.

dans une cravate rouge de commandeur. — Comment pouvez-vous conserver un espoir pareil ? Jamais nous n’aurons une occasion meilleure. Demandez là-bas (elle tourna la tête vers le salon où se tenaient Leurs Majestés) ce qu’en pensent nos seigneurs et maîtres ?

Le gros homme, têtu et patient, répondit :

— Il n’en est pas moins vrai que le gouvernement a fait appel à l’intervention officieuse du Foreign-Office. Les cabinets de Vienne et de Florence agiront aussi. Quant à M. Olozaga, qui représente ici le gouvernement espagnol, il a écrit aujourd’hui même au Régent une lettre des plus vives, l’adjurant de faire écarter le prince Léopold. Voilà qui permet d’espérer une solution pacifique.

Mme  Langlade haussa les épaules, et prenant Judin et Du Breuil à témoin :

— Parlez pour vous, Chartrain, qui n’êtes pas même garde mobile !… N’est-ce pas, messieurs, que nous aurons la guerre ? Il nous la faut ! L’intérêt du pays, celui de la dynastie, l’exigent… (Elle tourna encore la tête vers le salon des souverains, point de mire de tous les regards, centre de toutes les préoccupations)… L’Impératrice, affirma-t-elle, est d’une grande beauté, ce soir.

— L’Empereur paraît souffrant, dit le gros fonctionnaire, avec une respectueuse ferveur.

— Oh ! l’Empereur !

Le ton traînant de Mme  Langlade, contrastant avec sa vivacité passionnée de tout à l’heure, marqua nettement la scission d’un parti, et quel était le sien. Elle reprit :

— Comme le Prince impérial est gracieux ! L’aimable nature ! Vous savez qu’il veut absolument partir, être au premier rang… Un vrai Napoléon !

— Pauvre enfant, dit Chartrain, — tout gras et ridicule qu’il fût, il eut soudain l’air d’un très brave homme, — Dieu lui épargnera, j’espère, le spectacle de pareille horreur.

Il se tourna vers Du Breuil, et simplement, comme s’il s’excusait :

— J’ai un fils qui partirait, voyez-vous ! Sa mère et moi nous serions trop inquiets, chétif et délicat comme il est.

Mme  Langlade le toisa :

— La belle affaire ! Moi aussi, j’ai un fils, il brûle de se battre. Je le renierais, sans ça !