Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 143.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disproportion entre peintres et sculpteurs, au point de vue du nombre et souvent du talent, est plus accentuée en Scandinavie que partout ailleurs. Les Suédois sont plus impressionnés par les couleurs que par les formes et ce que nous avons dit de leur tempérament artistique le démontre suffisamment. L’histoire de leur sculpture se divise en trois ou quatre périodes, caractérisées chacune par un seul nom et séparées par de longs intervalles de production médiocre. Nous avons vu qu’après l’œuvre classique de Sergel, Fogelberg avait créé une sculpture Scandinave. Ses successeurs bornent leur ambition à décorer les palais et les villes suivant les nécessités locales : ils s’y emploient en bons praticiens ; leurs productions dispersées à travers Stockholm n’arrêtent guère l’attention. Un seul artiste parmi eux laisse une création originale, Molin, qui, entre des fontaines et des groupes mythologiques d’un goût incertain, donne son Duel au couteau exposé à Londres en 1862 et promené triomphalement en Allemagne et en Scandinavie ; deux hommes nus sont aux prises, poignards en main, les ceintures liées suivant l’antique barbarie ; pour un moment, leur effort réciproque est neutralisé ; l’un des adversaires se dresse et domine le corps ployé de l’autre qui lui maintient les poignets. Le sujet est sauvage, les poses hardies, l’horreur de la lutte énergiquement rendue ; les lignes ont une correction et une pureté classiques : conciliation heureuse entre l’idée et le procédé qui rappelle les meilleurs ouvrages de Fogelberg.

Dans ces quinze dernières années, les sculpteurs sont devenus plus nombreux : Lundberg, Eriksson, ont donné des expositions intéressantes. Une jeune école s’est formée qui eut quelques années à sa tête un maître glorieux entre tous les artistes Scandinaves, Per Hasselberg.

Le talent de Hasselberg ne se raisonne guère. Jamais inspiration ne jaillit plus spontanée : son œuvre, rapide comme fut sa vie, est fait de créations définitives qui forcent l’émotion et imposent silence à la critique : on peut analyser les qualités techniques de l’exécution, mais on est pénétré tout d’un coup par le sentiment de vie intense qui se dégage de ces marbres où l’artiste a fait passer le frémissement de son âme rêveuse et naïve, profondément Scandinave, imprégnée de poésie mélancolique, illuminée de brusques gaîtés d’enfant.

La Suède possède, avec des essais datés de notre Ecole des beaux-arts et quelques reliefs décoratifs, trois chefs-d’œuvre de