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question que l’on met à part pour la traiter lorsque son tour sera venu se hérisse en attendant de difficultés nouvelles et devient bientôt inextricable. Mais l’Angleterre a une méthode, et entend s’y tenir. Elle veut qu’on s’occupe d’abord de l’évacuation, et ensuite de l’indemnité, sans s’occuper de la corrélation qui existe évidemment entre celle-ci et celle-là. Nous doutons fort que la Grèce lui sache, cette fois, un très grand gré de l’attitude qu’elle a prise et de la proposition qu’elle a faite, car on aurait vainement cherché un moyen plus ingénieux sans doute, mais aussi plus sûr, de prolonger inutilement l’occupation de la Thessalie.

La proposition britannique a causé quelque surprise : personne ne s’y attendait, et le langage qu’avait tenu jusqu’ici lord Salisbury n’était pas propre à la faire prévoir. Il est impossible d’être plus sévère, plus rigoureux, plus dur même pour la Grèce que le premier ministre anglais ne l’a été dans ses derniers discours à la Chambre des lords. Il rejetait sur elle la responsabilité de tous les événemens qui se sont produits en Orient. On devait croire qu’il voulait la préparer par-là aux concessions nécessaires, et lui faire comprendre qu’elle était sous le coup d’une inéluctable fatalité. Ce serait un bien curieux recueil que celui des discours de lord Salisbury, depuis quelques mois seulement, si on s’amusait à le faire : on y trouverait un répertoire complet des opinions les plus contradictoires, exposées toujours avec la même verve à l’emporte-pièce. Un homme politique continental aurait beaucoup de peine à faire accepter de pareilles volte-faces ; mais les Anglais ne se piquent pas de logique, et peut-être est-ce là une de leurs forces. Lord Salisbury a donc donné, tout à fait subitement, des instructions à son ambassadeur à Constantinople pour demander que la question de l’évacuation fût traitée indépendamment de celle de l’indemnité. Mais pourquoi ? Est-il vrai, comme il le dit, que la Grèce soit dans l’impossibilité de payer l’indemnité fixée ? Certes, nous n’en croyons rien ; mais, à supposer qu’il en soit ainsi, pourquoi l’Angleterre ne l’a-t-elle pas dit plus tôt ? Elle a participé, comme les autres puissances, à l’échange de vues qui a permis de déterminer la somme à payer. La seule préoccupation était alors de proportionner la charge aux facultés de la Grèce. De deux choses l’une : ou l’Europe a calculé juste, et alors la Grèce est ou sera certainement bientôt en mesure de se libérer ; ou elle s’est trompée dans ses estimations, mais il est bien tard pour s’en apercevoir. Le silence observé jusqu’ici par l’Angleterre est aussi surprenant que la manière dont elle le rompt. Faut-il croire qu’elle n’a pas pris jusqu’à ce jour très au sérieux le travail auquel elle a pourtant collaboré ?