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LE DÉSASTRE


DEUXIÈME PARTIE[1]


I

— Passez la dinde au major ! dit M. Bersheim. Il n’a pas son égal pour découper !

On regarda M. Sohier, médecin-major à l’hôpital militaire de Metz. Il glissait le coin de sa serviette dans le col de sa tunique, s’emparait du grand couteau. Une servante blonde aux joues roses, sous la surveillance sévère de la vieille Lisbeth (elle avait tout de suite reconnu Du Breuil !), prit à bras tendus le plat où reposait la dinde énorme, bourrée de truffes et rissolée à point. M. Bersheim, avec une jovialité qui allait bien à sa rouge figure encadrée d’une barbe grise, déclara, non sans orgueil :

— Elle pèse quatorze livres, mon général ! C’est la reine de ma basse-cour. Mon fermier me l’a apportée hier, de Noisseville.

Le général Boisjol, qui vidait un verre de corton, apprécia la bête, d’un air de connaisseur. Il ressemblait à un vieux loup jaune, tout en museau, poil court, regard dur.

— Regardez-moi ça ! dit M. Bersheim enthousiasmé.

La maestria avec laquelle M. Sohier disséquait valait en effet la peine d’être admirée. Il tranchait en souriant les articulations ; les morceaux tombaient d’eux-mêmes et se rangeaient comme par

  1. Voyez la Revue du 1er septembre.