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LE DÉSASTRE.

de troupe qui hennit, cherchant à mordre. Les coups de canon redoublaient de violence. L’escorte partait. Vacossart, retourné sur sa selle, fit claquer ses doigts.

— Chouette ! ça va chauffer !

Du Breuil ne songeait qu’à la retraite menacée, retardée. On avait perdu du temps ; l’ennemi, toujours averti, toujours prompt, en profitait. Une victoire ? Steinmetz refoulé, rien de mieux… Mais, pendant ce temps, Frédéric-Charles s’avançait sur la rive gauche, coupant le retour sur Verdun… Il rendit la main. Cydalise l’emporta. Dans les rues de Metz, un encombrement fou, l’anxiété sur tous les visages. Des affiches officielles, le long des murs, lui rappelèrent le départ de l’Empereur pour Longeville, après le déjeuner. Il crut revoir, devant la Préfecture, l’escadron des guides, les cent-gardes, les voitures impériales. Les bagages avaient filé devant, livrée, service de bouche, fourgons de provisions. Sur le siège de l’un d’eux, il avait reconnu, coiffé d’un chapeau melon, sous un cache-poussière mastic qui laissait voir ses mollets de soie, le gros maître d’hôtel de Saint-Cloud, semblable, avec son habit marron, à un hanneton gourmé. Quelle tristesse, ce départ du souverain ! La foule silencieuse, pas un cri, pas un geste ; l’Empereur pâle causait avec son fils. Le prince Napoléon, grave, par la ressemblance de son visage avec l’Autre, faisait invinciblement penser à d’anciens et funèbres souvenirs. Les adieux de Fontainebleau, murmurait-on…

Il se renseigna auprès d’un secrétaire d’état-major. Le général Jarras et ses officiers étaient montés à cheval au premier coup de canon, pour rejoindre le maréchal. Du Breuil retira les gants qu’il portait, de peau brune, usés par les rênes, et prit dans ses fontes ses gants blancs. L’opale de Mme  de Guïonic le gêna. Il l’avait fait, à son arrivée à Metz, sertir par un juif, du nom de Gugl. C’était un de ces revendeurs louches, dont la boutique contenait de tout, usurier au besoin, espion même, disaient aucuns. Il mit la bague à son petit doigt, par-dessus le gant. Elle avait un reflet laiteux et irisé, la grâce d’un bijou changeant et perfide. Bonheur, malheur, quelle fatalité lui porterait-elle ? Bah ! il n était pas superstitieux ! Alors, comme Cydalise galopait vers la porte des Allemands, dans un écartement de passans anxieux, il conçut la grandeur du métier militaire, éleva sa pensée vers son père, un simple, un haut soldat. Le sacrifice volontaire de sa vie, Du Breuil l’offrit de toute son âme. Certes, l’instinct