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garde que le Faust pour qui Marguerite mourante a prié. » Il en est qui déclarent que le poème est d’un navrant pessimisme, tandis que d’autres en admirent l’optimisme sain et bienfaisant. Pour ceux-ci, c’est un mystère ; pour ceux-là, un système. Bref, tous croient y trouver ce qu’ils y cherchaient. Et peut-être bien que ce n’est pas une illusion. L’erreur commune à ces commentateurs, c’est que chacun veut avoir raison contre les autres, — tandis qu’ils n’ont raison qu’ensemble. Une œuvre qui contient la pensée d’une vie entière ne saurait s’enfermer dans un système, ni représenter une face unique de la vérité : nécessairement, elle est multiple et contradictoire, comme le sont toujours les grands esprits où se réfléchit le spectacle des choses, les « microcosmes » qui reproduisent les changeantes images du monde en mouvement.

Cependant, les historiens sont arrivés à la rescousse, et ils ont déplacé le problème. Renonçant à chercher le mot de l’énigme dans le poème considéré en lui-même, ils l’ont rattaché aux diverses légendes dont il est issu, en tâchant de faire jaillir quelque lumière de ces rapprochemens : celle de Simon le Magicien, celle de Cyprien d’Antioche, etc. Ils ont fait ainsi de belles découvertes : c’est pendant que Luther est en train de traduire la Bible à la Wartbourg que Faust vend son âme au diable et commence à courir le monde avec son sinistre compagnon. Notez que Faust porte le titre de Docteur, comme Luther. Voilà qui explique tout : Faust est le sorcier anti-luthérien, comme Cyprien d’Antioche fut le sorcier anti-catholique, comme Simon fut le sorcier anti-judaïque. Ne vous semble-t-il pas que cela est de première importance et nous avance beaucoup ?

Les philologues ne pouvaient rester inactifs : ils sont facétieux et patiens, et la comparaison des textes leur réserve des joies infinies. Ils ont donc comparé l’une à l’autre les trois versions de Faust ; et ils ont comparé à des fragmens de ces trois versions d’autres fragmens empruntés à la correspondance ou aux poésies de Gœthe. Des rencontres de mots, des ressemblances d’images suffisent à les plonger dans des joies infinies : ils en tirent des conclusions éloignées, et, comme il n’est rien de moins précis que de tels rapprochemens, ces conclusions prêtent à des discussions dont les imprimeurs auraient tort de se plaindre. Mais, on le devine, les philologues ne peuvent avoir la prétention de saisir la « pensée fondamentale » du poème, et leur exégèse