Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 143.djvu/342

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans marine ni armées sérieuses ; son « européanisation » commençait à peine. En 1875, la Russie fit accepter au Mikado l’échange de l’île Saghalien contre les Kouriles, la proie pour l’ombre. En 1876, elle obtint qu’il renonçât à toute suzeraineté sur la Corée en échange de l’ouverture au commerce japonais d’un port coréen (Fusan). Ainsi se révélait déjà l’importance de la question coréenne.

Les choses en étaient là lorsque la jalousie de l’Angleterre ferma décidément à l’expansion russe la route de la mer des Indes. Il ne restait plus au gouvernement du tsar qu’un seul, un dernier espoir d’avoir un port libre sur une mer libre ; en Extrême-Orient seulement il pouvait trouver ce débouché nécessaire au commerce et au développement de la Russie. Dès lors la « question coréenne, ou japonaise » tint la première place dans les préoccupations du cabinet de Saint-Pétersbourg. Les intrigues anglaises que, là encore, il rencontrait devant lui, les progrès déjà rapides du Japon, décidèrent le tsar à agir avec énergie et célérité : en août 1886, des vaisseaux et des troupes russes occupèrent Port-Lazareff.


II

Installés là, les Russes possédaient enfin un port accessible toute l’année, et ils étaient les maîtres de la Corée. Mais l’Angleterre veillait ; décidée à arrêter les progrès de sa rivale vers la Chine comme elle les avait arrêtés vers l’Inde, elle se hâta de faire occuper par son escadre, à l’extrémité sud de la Corée, l’îlot et la baie de Port-Hamilton. De là les Anglais commandaient le détroit de Corée et enfermaient les Russes dans la mer du Japon. Le coup était rude pour le gouvernement de Saint-Pétersbourg ; allait-il donc perdre la suprême partie, lui faudrait-il renoncer à tous ses projets, à tous ses espoirs ? Il y eut, entre les deux cabinets, échange de notes aigres-douces : la guerre fut sur le point d’éclater. Heureusement l’Angleterre s’aperçut qu’elle s’était abusée sur la valeur militaire de Port-Hamilton ; la rade était mauvaise et l’îlot intenable. Elle proposa l’évacuation réciproque des points indûment occupés. Désireuse d’éviter un conflit pour lequel elle n’était pas prête, comptant sur le temps qui travaillerait pour elle, la Russie accepta. Elle évacua Port-Lazareff, les Anglais abandonnèrent Port-Hamilton.