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l’intégrité de l’empire chinois, et à les entraîner à une action collective ; les Anglais espéraient ainsi neutraliser l’effet de l’intervention russe, et prévenir l’occupation de la Corée par les troupes du tsar. La Chine n’eut pas d’amis plus empressés. L’amiral Fremantle poussa le zèle jusqu’à organiser avec ses croiseurs un système complet d’éclairage pour protéger et surtout renseigner les navires chinois affolés et cachés à Port-Arthur ou dans la rade de Wei-ha-wei. Un jour, — c’était au début de la guerre, — quelques croiseurs japonais arrivaient, inaperçus dans le brouillard, à six heures du matin, pour bombarder Wei-ha-wei. Les forts chinois allaient être surpris : pour les prévenir, le commandant du Mercury imagina de saluer de 15 coups de canon le pavillon de l’amiral Ito[1]. Les Chinois coururent aux pièces, et l’escadre japonaise dut se retirer. — Autre fait : au début des opérations contre Wei-ha-wei (février 1895), l’escadre anglaise eut l’impudence de venir croiser entre la côte et la flotte japonaise, pour gêner le débarquement des troupes : il fallut que l’amiral Ito l’invitât, par deux fois, à se retirer. — A Port-Arthur, les Japonais trouvèrent une liasse de dépêches de l’amiral Fremantle, informant jour par jour Li-Hung-Chang des mouvemens de la flotte japonaise.

Mais rien ne put empêcher l’irrémédiable défaite des Célestes. Dès qu’elle sentit la partie perdue, l’Angleterre fit brusquement volte-face ; du jour au lendemain, elle abandonna la Chine et se rangea du côté du vainqueur. Du coup, elle perdit à Pékin l’influence qu’elle gardait encore : dans la lutte pour l’exploitation de la Chine, il ne resta plus que deux concurrens, la Russie et le Japon.

Par la géographie, par les mœurs, par ses qualités et ses défauts, le Russe est le plus oriental des Occidentaux ; entre lui et l’homme de race jaune point de contraste violent. Bien plus que la morgue britannique, la souplesse et la patience moscovites sont capables d’inspirer confiance à l’apathie chinoise. A la différence des Anglais, les Russes n’avaient donc pas contre eux, dans leurs relations avec le Céleste Empire, l’antinomie absolue des caractères et des mœurs. Avec une extrême habileté, ils ont profité de leurs avantages.

Point de violences, point de coups de canon dans les

  1. On sait que, d’après les règlemens maritimes, on ne doit saluer qu’à partir de huit heures du matin.