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coréenne devait être le premier objet de litige entre Japonais et Russes. Depuis longtemps, les Japonais considèrent la Corée comme une dépendance naturelle de leur pays. La conquête de ce pays par l’impératrice Jingu au IIIe siècle de notre ère est peut-être de leur histoire l’unique souvenir qu’ils aient conservé. Sur les deux rives du détroit de Corée, on trouve les mêmes cultures, les mêmes produits, le même climat ; les ports du Japon reçoivent et répandent dans tout le pays le riz coréen et les poissons salés ; économiquement le Japon et la Corée sont donc étroitement liés. En 1894, au moment où éclata la guerre, un diplomate japonais, M. Otori, négociait à Séoul pour faire abolir les défenses d’exportation du riz. Sitôt qu’il fut devenu une puissance, le Japon se souvint de ses droits historiques sur la Corée ; dès 1876 il forçait la cour de Séoul à secouer officiellement la suzeraineté chinoise (traité de Kanghoa), à ouvrir au commerce japonais les ports de Fusan, Gensan et Chemulpo, à permettre aux officiers du Mikado de faire ce relevé hydrographique des côtes coréennes qui leur a été si utile durant la dernière guerre. Des Japonais allèrent s’établir dans les ports coréens, ils y installèrent ces pêcheries qui rapportent aujourd’hui 30 pour 100 à leurs actionnaires. En même temps, le gouvernement de Tokio suscitait à Séoul des intrigues anti-chinoises et soudoyait un parti favorable aux prétentions japonaises. Il y eut des émeutes, les soldats du Mikado intervinrent : un droit mal défini fut reconnu au Japon ; une sorte de condominium sino-japonais, de protectorat à deux, devait régir la péninsule. — Ainsi, la possession de la Corée est depuis longtemps le rêve de l’ambition japonaise. Faire du détroit qui baigne l’île de Tsu-shima un nouveau Bosphore, confiner les Russes dans une mer fermée, tel a été le but de la politique du Mikado. Contre ces projets, la diplomatie russe a lutté de toutes ses forces.

Jusqu’à la guerre sino-japonaise, c’est presque uniquement en Corée que se manifesta la rivalité entre la Russie et le Japon. La question toutefois n’apparaissait pas comme insoluble. Au début de la guerre de 1894, le gouvernement du tsar négocia avec celui du Mikado un partage éventuel de la péninsule coréenne. La Russie aurait eu la côte est, c’est-à-dire un port libre et une rive du détroit ; au Japon serait revenue la partie ouest, productrice de riz, et l’île de Quelpaert. Les négociateurs avaient-ils la volonté d’aboutir, c’est ce que la guerre n’a pas permis de savoir.