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Huit jours avant, trois armées étaient organisées : une en Alsace, sous le commandement de Mac-Mahon ; une en Lorraine, confiée au maréchal Bazaine ; la troisième à Châlons, en réserve, aux ordres de Canrobert. À force de démarches, il parvenait à se faire nommer à l’état-major du maréchal Bazaine. Le lendemain, à son réel désespoir, tout était modifié. Bazaine redevenait simple commandant de corps, et conservait son personnel ordinaire. Il n’y avait plus qu’une seule armée ! L’Empereur la commandait en chef, le ministre devenait major général, les généraux Lebrun et Jarras, aides-majors généraux. Et Du Breuil eut le crève-cœur d’apprendre qu’il resterait à Paris, avec deux de ses camarades, à la disposition du futur ministre intérimaire, le général Dejean.

Il avait tout le jour relevé les ordres de mouvemens, relatifs à la concentration de l’Armée du Rhin. Les chiffres et les noms tourbillonnaient encore dans sa cervelle ; et tandis qu’il continuait à recopier d’autres pièces, il revoyait nettement la composition et l’emplacement des différens corps : le premier, Mac-Mahon, à Strasbourg, troupes de l’Afrique et de l’Est ; le second, Frossard, à Saint-Avold, troupes du camp de Châlons ; le troisième, Bazaine, à Metz, armée de Paris et division militaire de Metz ; le quatrième, Ladmirault, à Thionville, régimens du Nord ; le cinquième, Failly, à Bitche et Phalsbourg, divisions de l’armée de Lyon ; le sixième, Canrobert, à Châlons, régimens de l’Ouest et du Centre ; le septième, Douay, à Colmar et Belfort, régimens du Sud-Est ; la Garde, Bourbaki, à Nancy. Il ne put s’empêcher de songer à la dissémination des troupes, éparpillées sur toute la frontière, aux difficultés mêmes de la concentration.

On avait mobilisé les réserves le 14 au soir. Mais les dépots étaient très loin des régimens. Du Breuil songea que de ce côté-là, il y aurait certainement des mécomptes. On perdait un temps précieux. Tel homme qui habitait Perpignan, devait, avant de gagner Metz ou Strasbourg, se rendre en Bretagne pour s’habiller et s’équiper. Tel autre, un Alsacien par exemple, dont le régiment était en Alsace, avait à courir à Bayonne pour y recevoir son fourniment. Évidemment, la méthode allemande (le recrutement régional) était préférable. Quant aux troupes actives, qui de toutes parts convergeaient vers la frontière, il fallait qu’elles vinssent des quatre coins de la France, et ce ne serait ensuite pas trop de deux semaines pour débrouiller tout cela, faire la répartition, coordonner les