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un modus Vivendi équitable : il y a place en Chine pour eux et pour leurs rivaux.

L’événement a déjà montré dans la question de Corée la possibilité d’un accord. L’acuité du problème coréen est devenue moins vive depuis que les Russes ont tourné par Port-Arthur la presqu’île qui leur fermait l’issue de la mer du Japon. Le gouvernement du tsar et celui du Mikado ont eu la sagesse de s’entendre pour établir en Corée un véritable condominium. Une convention a été signée le 28 mai 1896 à Saint-Pétersbourg par le prince Lobanof et le maréchal Yamagata. Les deux parties reconnaissent l’indépendance de la Corée et s’engagent à aider le roi Li-Hsi à rétablir l’ordre dans ses États et à organiser ses forces militaires ; elles ont le droit d’entretenir chacune un nombre égal de soldats pour assurer la protection de leurs nationaux ; elles se partagent la construction des chemins de fer et des lignes télégraphiques. Le nouvel arrangement substitue l’influence russe à l’ancienne influence chinoise délimitée par le traité de 1885 ; le régime reste un condominium, mais l’une des deux puissances a changé, et c’est la Russie qui, à l’heure actuelle, exerce à Séoul l’action la plus forte.

Les causes de division entre la Russie et le Japon sont donc atténuées ; aucune ne semble irréductible, mais le malentendu subsiste. La Russie augmente ses forces militaires, et le Japon commence de formidables armemens. Le gouvernement du Mikado a prévu jusqu’en 1906 une dépense de 300 millions de yens pour la marine et l’armée. La première partie de ce programme doit être terminée en 1902 ; c’est à cette date aussi que Port-Arthur, fortifié et devenu le grand port russe des mers de Chine, sera relié par chemin de fer à Saint-Pétersbourg. Cette coïncidence éclaire le but visé par les Japonais dans ces préparatifs militaires dont le nouveau ministère presse l’exécution[1]. D’ores et déjà la redoutable échéance de 1902 inquiète les diplomates et préoccupe les gouvernemens.

Si la Russie et le Japon se laissent entraîner sur la pente des armemens et des ruineuses dépenses militaires et veulent s’éliminer réciproquement des marchés chinois, non seulement ils manqueront leurs buts, mais ils ouvriront la porte aux ambitions étrangères : le Japon sera arrêté dans son essor économique ; la

  1. Voir : Projets d’augmentation de la puissance maritime et militaire du Japon, par J. Daney de Marcillac, dans la Revue maritime d’avril 1897.