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séduisante encore, aventurière de profession, devenue, par la folie d’un vieux diplomate, ambassadrice du roi George, et par le caprice de Marie-Caroline, confidente et favorite d’une reine. Elle connaissait Nelson depuis 1793 et le tenait sous le charme. La reine le savait, et cette passion de Nelson était sa grande espérance. Elle aurait la flotte anglaise le jour où elle oserait en réclamer le secours. Cependant, le mal croissait. La guerre paraissait inévitable. Le sort de la monarchie se jouerait alors dans une bataille, et cette bataille, qui la dirigerait ?

Naples avait des soldats, mais à part quelques émigrés français, point de commandans. Marie-Caroline écrivit à Vienne et réclama un général, Mack, si c’était possible : Mack était le vainqueur désigné, le héros à tout faire. L’empereur l’accorderait-il ? En attendant, l’inquiétude agitait Naples ; chaque jour on se demandait si on ne serait pas réveillé par le canon de Bonaparte. Le papier-monnaie tomba de 25 pour 100. Sur ces entrefaites, le 3 septembre 1798, arriva la nouvelle que Bonaparte était débarqué en Égypte, que sa flotte était détruite par Nelson, qu’il était bloqué dans sa conquête. La reine exulte. Elle ne peut attendre le moment de voir son amie ; elle lui écrit, elle l’appelle en phrases haletantes : — « Ma chère Milady, quel bonheur, quelle gloire !… J’ai pleine vie. J’embrasse mes enfans, mon mari. Quelle bravoure, quel courage !… Puisse le ciel faire prospérer une nation aussi magnanime ! » Lady Hamilton accourt et, dans une lettre à Nelson, décrit les transports de la reine : « Elle pousse des cris, elle embrasse son mari et ses enfans, court comme hors d’elle-même dans les appartemens, crie encore, embrasse, étreint tout ce qu’elle rencontre. O brave Nelson, Dieu garde et protège notre vaillant libérateur ! » Qu’il vienne ! Nelson n’y résiste pas.

Il avait quarante ans ; c’était un Anglais austère et renfermé, un homme de mer timide, aux passions brutales et naïves, inassouvies, refrénées ; borgne, tête revêche sur un corps grêle et mutilé. Son nom retentissait alors dans toute l’Europe ; il était le roi de la mer, le vengeur des Anglais, le sauveur des rois. Il s’abandonne à l’ivresse du triomphe et, sans se l’avouer encore, à l’enivrement de l’amour. Il arrive en vue de Naples, le 22 septembre. Tout un peuple se presse autour du vaisseau amiral ; ce ne sont que fleurs, oriflammes, acclamations. Lord Hamilton veut être le premier à saluer le héros. Emma l’accompagne, et Nelson, dans le décor incomparable de son triomphe, ne voit plus qu’elle. On