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développait dans les conseils et auxquels il ne croyait plus qu’à demi dès qu’il passait à l’exécution. Comme tous les rhéteurs de caserne ou d’Etat, il cessait de se comprendre quand il cessait de s’entendre parler. Il déclara à la reine qu’en dix jours il serait prêt à entrer en campagne : Naples le proclama le Nelson de la terre ! Sous main, il s’efforçait de gagner du temps, ne prenant au sérieux ni l’ardeur batailleuse de Ferdinand ni la valeur des 40 000 hommes dont ce roi prétendait disposer. Il les achemine pourtant vers la frontière, et, agresseur malgré lui, il y va établir son quartier général. Le roi, la reine, Nelson, les Hamilton l’y viennent visiter le 8 novembre. Mack présente ses soldats à la cour comme la plus belle armée du monde. Et la cour, apprenant que l’empereur n’enverra pas de troupes en Italie avant le printemps, qu’il attendra les régimens russes et les subsides anglais, s’indigne, s’emporte. C’est une trahison ! La reine écrit à sa fille, l’impératrice : — « Il faut sortir et avant la fin de novembre nous serons à Rome sûrement, sauf qu’ensuite, ne voyant aucune démarche pour être attaquée, toute la force française plombe (sic) sur nous, et nous écrase… nos moyens et dépouilles serviront à ruiner l’empereur, qui ne s’échappera point ; je vois bien noir… Il faut mourir avec honneur[1]. » Au fond, Marie-Caroline ne se faisait guère plus que Mack d’illusions sur « sa petite et non aguerrie armée » ; mais ils croyaient n’avoir qu’une chance de salut et qu’un moyen de forcer l’Europe à intervenir : brusquer l’attaque. Ferdinand lança le 24 novembre son manifeste ; le 23 au matin, les soldats napolitains avaient franchi la frontière romaine et allaient affronter cette terrible République française que Marie-Caroline appelait, dans un moment d’exaltation biblique, « la moderne Sodome ».


II

L’Europe commençait à s’armer, mais lentement. L’Angleterre sortait d’un long cauchemar. Elle s’était vue isolée devant la France et menacée d’invasion. La crainte qui avait agité les Anglais, quarante-trois ans auparavant, lorsque, disait-on, Belle-Isle rassemblait sur les côtes de France une armée de débarquement ; l’anxiété que naguère leur avait causée Hoche, s’étaient ranimées bien plus vives lorsqu’ils avaient vu Bonaparte reprendre

  1. Marie-Caroline à l’Impératrice, 12 décembre 1798, en français. Huiler, t. II, p. 149, note.