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le fer des soldats et la serre des agens français flétrissent ses beautés naturelles et la dépouillent de sa parure… On détruit jusqu’aux ruines… Allez, nous vengeons bien l’univers vaincu… » Il ne reste que des misérables, un peuple affamé, des brigands. Les généraux commencent à réquisitionner pour eux-mêmes. Le général Duhesme, un des plus chauds patriotes qui existent, selon Championne !, fait venir Thiébault et lui ordonne de lever cinq cent mille francs dans les Abruzzes. « La solde est arriérée, lui dit-il, et différens services manquent de fonds ; j’en ai besoin pour mon espionnage. En outre, j’ai un rang et une famille, que je compte pour deux cent mille francs. » Il se contenta de cent mille, et en donna vingt-cinq mille à Thiébault, pour sa peine. Kellermann, rapporte ce témoin, aimait l’argent et en prenait, Macdonald ne l’aimait pas moins. Sauf quelques-uns, qui passaient pour purs, comme Joubert, comme Championnet, vite suspects d’ailleurs et dénoncés par tous les prévaricateurs, il en allait de même partout, au désespoir des peuples conquis. Ces peuples, cependant, devaient bientôt connaître un sort pire, c’était le même système d’exactions appliqué par les Napolitains, les Autrichiens, les Russes.

Voilà ce que les lettres d’Italie apprennent aux Directeurs. Celles d’Allemagne annoncent les armemens des Autrichiens, l’approche des Russes, la neutralité de plus en plus malveillante de la Prusse. A Rastadt, la députation « filera doux » ; mais c’est pour occuper le tapis. Les Allemands ne pensent plus qu’à se garantir à la fois contre la République et contre l’Autriche, en attendant que la guerre manifeste la raison du plus fort, qui sera pour eux, comme toujours, la meilleure. Il ne faut pas s’y tromper : c’est la guerre de 1793 qui menace de recommencer, avec, en plus, la révolte des peuples, l’appoint redoutable de la Russie, et, en moins, la Pologne qui n’est plus là pour retenir les Russes, rappeler les Prussiens et distraire l’Autriche. Ajoutez les alliés prétendus, les alliés par contrainte : la Hollande, l’Espagne, qui guettent la première défaillance pour secouer le joug. Dans ce péril, le Directoire, successeur étriqué du Comité de salut public, en retrouva, pour quelques semaines, l’âpre énergie.

Ces conventionnels, portés au gouvernement de la république, restèrent toujours des hommes de révolution, des hommes d’assaut : ils n’étaient point hommes d’État. Ils ne connaissaient d’autres ressources que les complots, les journées : ainsi, après