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et sûrs de gagner le ciel, en obéissant aux moines énergumènes qui commandent de tuer pour Dieu et pour le roi. C’est l’armée révolutionnaire de Naples, en haillons, sans culottes, munie de mauvais fusils, de sabres et de piques. Qui parle de république est un traître à leurs yeux et coupable de connivence avec l’étranger. Au « patriotisme » cosmopolite des libéraux, ils opposent le patriotisme élémentaire pour lequel toute parole en langue étrangère est parole de mensonge, tout étranger un espion, un ennemi, qui vient, les armes à la main, chasser le roi, renverser les croix et violer les trésors des sanctuaires.


Ils ont, pour les commander, des héros à leur taille et selon leur génie, un Michel de Lando, surnommé il Pazzo, le fou : intelligent, intrépide, le Masaniello de cette contre-révolution populaire. Ils massacrent tout ce qu’ils soupçonnent de vouloir capituler, et tout noble, tout docteur, tout lettré en est suspect. Ils forcent à marcher devant eux l’armée de ligne, fatiguée de la guerre, prête à déposer les armes, et ces soldats prennent le parti de se battre, aussi longtemps qu’ils ne trouveront pas moyen de se rendre. Quant aux lazzaroni, ils foncent sur les Français qui les fusillent ; ils s’éparpillent, se cachent dans les caves, dans les greniers, s’embusquent dans les ruelles, barricadent les rues. fuient, reviennent par un détour, prennent l’assaillant à revers, tirent d’en haut, tirent d’en bas et mettent le feu aux maisons qu’ils abandonnent.

La petite troupe de Championnet ne peut triompher que par le sang-froid, la ténacité, la discipline. C’est une troupe incomparable ; chaque soldat, inventif et souple, fait la guerre pour son compte, et, suivant la direction donnée pour l’ensemble, se « débrouille », dans le détail. Ces hommes sont de ceux dont un de leurs chefs a dit qu’ils « étaient capables de tout, en fait d’héroïsme comme en fait de destruction. » Les officiers sont jeunes, épris de gloire et d’aventures ; ils savent qu’ils trouveront, s’ils triomphent, et les grades, et l’argent, et surtout l’amour, facile et éperdu. Ils portent en eux ce sentiment si bien analysé par Stendhal, que les Français sont seuls des êtres raisonnables, des êtres généreux, que le monde est fait pour leur obéir et qu’ils lui portent la liberté. La poésie de leur propre épopée les pénètre ; ils ont plus ou moins épelé Virgile ; plusieurs l’ont dans leur poche, et ils évoquent, en la ressuscitant, l’âme des premiers conquérans de l’Italie. Mais la résistance qu’ils rencontrent les