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paraissait tiède ; il n’y avait jamais assez de sensibilité et de vertu à l’ordre du jour de leurs séances. Ils ajoutèrent à la constitution un pouvoir censorial de cinq membres, chargé de veiller à la conservation des bonnes mœurs, à la réforme des mauvaises ; un éphorat chargé de garder les lois fondamentales, de proposer les réformes utiles, de maintenir les magistrats dans le devoir. « Belles couleurs sur un lambris vermoulu », dit un révolutionnaire d’Italie qui croyait plus aux conjurations qu’aux discours, et au sabre qu’à la rhétorique. Cette académie de bienveillans dilettanti avait à gouverner un peuple de paresseux et de fanatiques, à lutter contre la concurrence des clubs jacobins, qui, poussant plus loin l’utopie, annonçaient le millenium et promettaient l’égalité, c’est-à-dire le dépouillement des riches et la curée générale des richesses. Ces démagogues, comme ceux de la Cisalpine, se déclaraient Italiens dans l’âme, ultra-patriotes, et usaient de la liberté, donnée par les Français, pour ameuter le peuple contre le libérateur. Ajoutez les barons qui, dépouillés de leurs privilèges, s’en vont, dans la montagne, soulever les paysans ; les moines qui prêchent la guerre sainte et, au nom de la religion menacée, font cause commune avec les athées et les anarchistes, enflammant à l’envi une population aussi acharnée contre les propriétaires que pour ses saints à miracle et son roi fantoche, distributeur d’aumônes, joyeux mangeur de macaroni. Mélange bizarre de superstition, de foi, de fidélité, de sauvagerie ; il s’ensuit une agitation sourde qui paralyse vite un gouvernement aimable et débile.

À ces élémens de dissolution qui menaçaient ce corps à la poussée hâtive, s’ajoutait la plaie empoisonnée, qui tua la conquête républicaine comme elle avait tué, au temps de Charles VIII, la conquête royale, la fiscalité. Il fallait de l’argent pour nourrir l’armée française, pour organiser l’armée napolitaine, pour indemniser la France, pour intéresser le Directoire à la nouvelle république, pour satisfaire les généraux, habitués au luxe, et les commissaires insatiables d’exactions. Nécessités et abus se mêlaient, et le contribuable dépouillé, menacé, ne cherchait point à distinguer d’où venait la spoliation et dans quelles mains allait son argent. Championnet n’était point avare pour lui-même ; il respectait sa conquête. Il pourvut au nécessaire ; il fit aussi la part de l’avidité, la part du feu ; il la fit large et il ferma les yeux[1].

  1. Soixante millions, plus les dîmes sur les musées. Chaque chef de bataillon eut 2 000 francs ; chaque chef de brigade, 6 000 ; chaque colonel, 12 000 ; chaque général de brigade, 2 0000 ; chaque général de division 49 000. Ajoutez les passes, la rapine, le butin. Thiébault, tarifé à 6 000 francs, avoue s’en être fait 40 000 (t. II, p. 427-428). Et les autres de même. Voir dans Ludovic Sciout, Le Directoire, t. III, p. 254 et suiv., les dénonciations de Faypoult contre Championnet et les généraux.