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nos pères il y a un demi-siècle, à savoir que les deux métaux dits précieux ne le sont pas au même titre ; que l’or seul conserve aujourd’hui, de par le consentement tacite et universel de l’humanité civilisée, sa force libératoire ; et que l’argent n’est plus, sauf en quelques pays d’importance secondaire, librement frappé, — c’est-à-dire transformé en disques monétaires d’une valeur certaine, et pouvant servir à acquitter une dette de n’importe quel montant. Le rapport de 1 à 15 1/2 fondé en France, ou de 1 à 16 adopté aux États-Unis, ou tout autre s’en rapprochant, n’est plus qu’un souvenir qui paraît lointain, tant il diffère du rapport de 1 à 40, coté à l’heure où nous écrivons. L’esprit le plus prévenu ne peut se refuser à reconnaître qu’un rapport ainsi modifié du simple au double, presque au triple, en moins d’un quart de siècle, est susceptible de variations indéfinies. L’antique croyance en sa fixité est déracinée. Chacun sait désormais qu’un lingot d’argent est une marchandise, soumise à des hausses et des baisses analogues à celles qui affectent tous les objets d’échange et de consommation. La vertu monétaire lui a été retirée ; car on ne saurait désigner de ce nom la fonction qui lui est réservée, dans la plupart des pays, de constituer la monnaie d’appoint, celle qui sert à régler les petites transactions, d’un montant à peine supérieur à celui de la plus petite pièce du métal libératoire, l’or, ou du billet de banque de la plus faible dénomination.

L’Angleterre, dès la fin des guerres du premier empire, avait établi chez elle l’étalon d’or, montrant, ici comme sur les autres parties du terrain financier, la voie aux nations. Après 1870, l’Allemagne, puis les États Scandinaves l’imitèrent : les États de l’Union latine, France, Suisse, Italie, Belgique, Grèce, suspendirent la libre frappe de l’argent ; cette suspension s’étendit peu à peu au reste de l’Europe. La Russie et l’Autriche, actuellement occupées à supprimer chez elles le cours forcé et à rétablir les paiemens en espèces, le font en adoptant l’étalon d’or. L’Espagne procède encore de temps à autre à des frappes de pièces de cinq pesetas pour compte du gouvernement, tout en les interdisant aux particuliers : en dépit de cette très légère exception, il est permis de dire qu’à l’heure actuelle, il n’est plus un seul pays européen qui frappe des monnaies libératoires d’argent.

Un certain nombre d’entre eux ne connaissent, en fait de monnaie libératoire, que l’or ; les autres ont conservé en outre, sous