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puis auprès des États des Provinces-Unies. C’est grâce à leur entremise à tous deux qu’un passeport fut envoyé à Rubens, en alléguant que sa présence en Hollande était rendue nécessaire par les arrangemens qu’il avait à prendre avec Gerbier au sujet de la cession de ses collections au duc de Buckingham, ce qui d’ailleurs était en partie vrai. Après divers pourparlers ayant pour objet le choix de la ville où Rubens et Gerbier pourraient se rencontrer, la Haye ayant été écartée parce qu’ils y seraient trop en vue, il fut convenu que cette rencontre aurait lieu à Delft, à Amsterdam ou à Utrecht.

Autorisé par l’Infante, Rubens, qui s’était d’abord rendu à Breda, franchit la frontière et gagna Utrecht. Pour mieux dépister la surveillance à laquelle il se savait en butte, il affecta même d’être attiré dans cette ville par le seul désir d’y visiter les peintres, ses confrères, et de voir leurs ouvrages. Utrecht, où de bonne heure la peinture avait été florissante, était demeurée le centre de l’école des italianisans et Rubens avait pu connaître à Rome quelques-uns des plus en vue parmi eux. Son nom d’ailleurs était très célèbre en Hollande et devait lui ouvrir toutes les portes. Il s’était donc rendu successivement chez Abraham Bloemaert, chez Hendrik Terbruggen et chez C. Poelenburgh, qu’il avait autrefois rencontré chez Elsheimer et dont il appréciait fort le talent. Autant pour contenter ses goûts que pour justifier le prétexte allégué pour son voyage, il avait acheté à Poelenburgh deux de ces tableaux dans lesquels, de sa touche la plus moelleuse et la plus délicate, l’artiste se plaisait à représenter, au milieu des ruines de la campagne romaine, quelques figures de nymphes ou de baigneuses[1]. Avec Honthorst, alors très en vogue et qui dès 1625 avait été nommé doyen de la Gilde de Saint-Luc à Utrecht, Rubens se sentait encore plus d’affinités. Maintes fois déjà, à son exemple, dans quelques-unes de ses compositions, — notamment dans la Vieille au Couvet de la galerie de Dresde, — il avait pris plaisir à rendre ces effets de lumière qu’Elsheimer, leur ami commun, venait de mettre à la mode et auxquels Rembrandt commençait à prêter la magique poésie de son pinceau. Afin de

  1. Ces deux tableaux sont portés sur l’inventaire dressé après la mort de Rubens. Smith, dans son Catalogue raisonné (t. II, p. 11), dit qu’en souvenir de cette visite de Rubens, Poelenburgh s’était représenté, ainsi que sa femme, dans un paysage, à côté du grand artiste qu’il avait peint de profil et vêtu d’un manteau écarlate. Nous ne savons ni à quelle source Smith a puisé ce renseignement, ni où se trouve ce tableau.