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d’aucune d’entre elles ; on n’aperçoit pas même le commencement d’une solution quelconque. L’Europe est occupée ailleurs, et, suivant l’expression qu’appliquait autrefois M. de Bismarck à un État balkanique, elle laisse impassiblement la Crète « cuire dans son jus ».

Ce n’est pas ce qu’elle avait promis de faire, et les Crétois attendaient sans doute autre chose après les déclarations qu’on leur avait prodiguées. On leur avait dit que le départ du colonel Vassos et l’acceptation par eux de l’autonomie mettraient fin à une situation devenue intolérable. S’ils l’ont cru, ils se sont bien trompés, car le colonel Vassos est parti, ils ont accepté l’autonomie, et la situation ne s’est pas modifiée. Rien pourtant, nous l’avons dit et nous le répétons, ne serait plus facile que de résoudre, aujourd’hui encore, la question crétoise : il suffirait de choisir un gouverneur et de l’envoyer à la Canée en l’entourant d’un certain prestige et en lui attribuant des pouvoirs étendus. Il serait reçu comme un sauveur, et, grâce à la fatigue générale, il ferait accepter la constitution qu’il voudrait. Cette constitution est d’ailleurs presque faite. Les ambassadeurs des puissances y ont travaillé longtemps à Constantinople. Il s’agissait alors, à la vérité, de maintenir effective la souveraineté du sultan, mais il faudrait peu de changemens et de corrections pour que la charte d’hier s’appliquât à la situation d’aujourd’hui. La seule difficulté viendrait peut-être de la Porte. Le sultan, dans une communication aux puissances, explique sa manière de comprendre l’autonomie crétoise : la première condition qu’il impose à son fonctionnement est d’y faire présider un gouverneur ottoman, qui serait choisi par lui. Sur ce point, et sans doute sur beaucoup d’autres qui participent du même esprit, l’accord entre l’Europe et la Porte serait impossible à établir si on s’y attardait ; mais il est probable qu’on ne le ferait pas. Les prétentions du sultan grandissent avec la faiblesse, les hésitations, les distractions de l’Europe. Il suffirait de montrer une volonté ferme et résolue pour faire tomber toutes les résistances. La situation du sultan en Crète n’est pas du tout ce qu’elle est sur le continent européen. En Thessalie, le sultan a été victorieux ; il l’a été avec éclat ; de plus il détient un gage, et il ne serait pas facile de le lui enlever s’il ne consentait pas lui-même à s’en dessaisir. Mais, en Crète, il n’a remporté aucune victoire ; loin de là ! Il est même probable, pour ne pas dire certain, que la Grèce, avec la supériorité qu’elle avait sur mer, serait facilement venue à bout de s’emparer de la Crète, pour peu que l’Europe l’eût laissée faire. L’Europe s’y est opposée pour des motifs sur lesquels nous n’avons pas à revenir. En agissant ainsi, elle a préservé