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rôle supérieur. La prospérité d’un pays qui professe hautement toutes les doctrines révolutionnaires est un scandale pour le monde ; et, pour éteindre l’incendie qui nous menace en Espagne, on ne peut se servir de ceux qui l’ont allumé. »

D’autre part, le prince de Metternich, dont la politique était des plus équivoques, — puisque, partisan décidé de toutes les interventions, comme il l’avait montré à Naples l’année précédente, il ne cherchait à empêcher la nôtre en Espagne que par esprit d’opposition à la France, — variait habilement son langage, suivant qu’il s’adressait à l’empereur Alexandre ou à la légation française[1]. « Nul doute, disait-il à l’empereur, qu’une intervention en Espagne ne soit nécessaire ; il faudrait être téméraire pour s’y opposer ; mais toute la question est de savoir qui la fera. Or, il semble de la dernière évidence que cette intervention ne peut avoir lieu par les troupes françaises. La guerre n’est point populaire en France ; toutes les idées de la partie sérieuse de la nation sont à la paix. Leurs finances sont à peine rétablies de toutes les contributions ruineuses qu’ils ont été forcés de payer… Voyez, d’ailleurs, l’opinion du véritable chef du cabinet français, M. de Villèle ; elle est toute à la paix. Ici, les plénipotentiaires français s’étudient en vain à découvrir la pensée de leur cabinet : à Paris, du moins, on sait ce que l’on veut. Et puis, quels engagemens sérieux, ajoutait-il, la France pourrait-elle prendre vis-à-vis des puissances ? Comment parlerait-elle de guerre, quand son armée est infectée par l’esprit révolutionnaire et que le signal du combat serait peut-être pour ses troupes le signal de la désertion ? Comment pourrait-elle s’engager dans une expédition aussi coûteuse, en face de la volonté toujours incertaine et malhabile des Chambres et en particulier de la seconde, dont un renouvellement partiel peut changer la majorité ? Mais supposons toutes ces difficultés écartées, l’armée marchant avec obéissance et ensemble, la révolution espagnole vaincue, Ferdinand rétabli sur son trône, ne pourrait-il pas se faire alors que la France, enivrée par ses récentes victoires, sentît réveiller en elle ses anciennes idées de conquêtes et, après avoir combattu pour la bonne cause, n’entreprît des guerres injustes ? »

Après avoir ainsi tenu en éveil l’esprit toujours un peu ombrageux d’Alexandre, M. de Metternich se tournait vers la légation

  1. Journal de M. de Bois-le-Comte sur le Congrès de Vérone.