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Faut-il appeler roman cet in-8o compacte que l’auteur intitule Egalité, promettant ainsi une suite à son premier aperçu de la société de l’avenir, Looking backward, qui eut un formidable succès[1] ? Non, certes, si le roman ne doit être qu’une histoire sentimentale ou amusante, racontée avec la légèreté nécessaire pour faire passer une heure ou deux. Mais le roman, depuis déjà longtemps et presque en tout pays, est devenu autre chose ; il touche d’aventure aux questions les plus sérieuses ; il réussit à faire accepter, en les déguisant, la discussion des problèmes les plus compliqués.

Looking backward était, on s’en souvient[2], une fantaisie ingénieuse sur des sujets de philosophie économique et sociale ; elle nous faisait assister aux impressions d’un jeune Bostonien Julian West, qui, tombé dans un sommeil magnétique, au commencement de 1887, se réveillait en 2000 devant les transformations fondamentales survenues durant cette période d’un peu plus de cent ans. Il découvrait d’abord que l’âpre combat pour l’existence, dont il avait été jadis le témoin souvent attristé, n’existait plus ; que la nouvelle civilisation reposait désormais sur le principe unique de la coopération nationale ; qu’il n’y avait plus de pauvres ni de riches. Personne ne travaillait pour le compte d’autrui ; tous s’évertuaient de concert à grossir le fonds commun auquel ils avaient part égale. Et ce miracle s’était accompli très aisément en remplaçant le capital privé par le capital public, en organisant le mécanisme de la production et de la distribution, — de même que le gouvernement politique, — comme une simple affaire d’intérêt général.

L’indispensable histoire d’amour s’entremêlait aux diverses expériences du dormeur éveillé. Il s’éprenait de l’arrière-petite-fille de sa fiancée du siècle précédent.

Looking backward fut très lu, très admiré, très discuté. Certains critiques affirmèrent qu’il avait remué la conscience de plusieurs centaines de milliers de lecteurs éveillés soudain aux défauts du système économique ; d’autres lui opposèrent tout ce qui s’est dit de sensé contre le communisme, depuis le temps de Robert Owen et de Fourier. Les premiers regrettaient que telle

  1. Voir dans la Revue du 15 octobre 1890 : la Société de l’avenir.
  2. Voir dans la Revue du 15 octobre 1890 : la Société de l’avenir.