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religieuse, mais maintenant elle poursuit de concert avec lui la recherche de tout ce qui concerne la nature de l’être humain, sa destinée, ses rapports avec l’Infini, tant spirituel que matériel, dont il est une part.

— La disparition de la caste ecclésiastique a-t-elle diminué l’intérêt général pris aux questions religieuses ?

— Vous ne le pensez pas ! Chaque institution sociale a eu son heure d’utilité ; les rois, le clergé, voire les capitalistes, ont rendu des services ; mais de même que l’abolition de la royauté marqua l’aube d’un gouvernement meilleur et que celle de la propriété privée fut le commencement de la richesse effective pour tous, de même la désorganisation des Eglises a inauguré de grands progrès dans les relations de l’âme avec ce qui est éternel.

— Prétendez-vous vraiment en savoir plus long que nous autres sur ces choses mystérieuses ? prétendez-vous avoir pénétré ce que nous nous efforcions de croire ? demande Julian, quelque peu incrédule.

— Vous n’en douterez pas, après avoir vécu plus longtemps de notre vie. L’absence de souci matériel permet à toutes les énergies de l’intelligence de se concentrer sur les possibilités d’une évolution spirituelle dont l’évolution matérielle, accomplie, n’est que le prélude. Avez-vous remarqué dans la littérature contemporaine l’absence complète de la note tragique ? C’est le résultat de notre conception d’une vie réelle, cachée en Dieu et jouissant là d’une sécurité inaccessible.

L’évêque Brooks avait déjà dit avant M. Barton : « Il n’y a d’autre vie que la vie éternelle », et le représentant de la religion de l’avenir a raison d’ajouter : « Vos poètes et vos voyans avaient bien admis que la mort ne fût qu’un pas de fait dans la vie. » — Il va cependant plus loin qu’eux en parlant de cette « impatience passionnée de la fin qui possède tous les vieillards » et qu’envieraient les jeunes s’ils ne savaient qu’un peu plus tard la même porte s’ouvrira pour eux.

— Mais — s’écrie Julian qui, dans sa première existence, avait été très éloigné, ainsi que beaucoup d’autres, de cette sorte de ferveur, — mais, si les hommes continuent d’avancer ainsi dans la connaissance des choses divines, à quoi n’arriveront-ils pas ?

M. Barton sourit : — L’antique serpent n’avait-il pas dit : « Si vous mangez des fruits de l’arbre de science vous serez comme des dieux ? » La promesse était vraie quant aux paroles, mais