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l’envoi du colonel Vassos. Jamais le moment de tenir tête à la Turquie et de contrarier les efforts pacifiques de l’Europe n’avait été plus mal choisi. La Grèce n’avait pas de chevaux pour l’artillerie et la cavalerie, dont la moitié était démontée ; on appelait par dérision l’homme qui faisait partie de ces étranges escadrons hippos anhippeus, cavalier sans cheval ; les munitions de l’artillerie dataient de 1886 et ne valaient plus rien ; enfin, une loi proposée naguère par M. Tricoupis avait autorisé le rachat de la moitié des réservistes moyennant 100 drachmes une fois payés, et les hostilités devaient trouver l’armée hellène avec dix classes formées d’hommes dont la moitié était exempte de service. La situation était donc celle-ci : la Turquie, pendant longtemps, avait cru que l’Hétairie pouvait jeter 100 000 volontaires en Macédoine. Or, les événemens venaient de prouver que cette Hétairie n’existait pas, pour ainsi dire, et que toute cette agitation, tout cet argent ramassé, tout ce mystère dont elle s’enveloppait, avaient abouti à jeter trois mille hommes dans la montagne. Restait l’armée grecque régulière, dont tout le monde connaissait l’état d’infériorité. C’est pourtant alors que les avant-postes de cette armée franchirent la frontière sur cinq points différens, et s’emparèrent des postes turcs surpris par la brusquerie de l’attaque. Le territoire ottoman avait été violé, le Sultan déclara la guerre ; il savait que l’Europe, froissée par le débarquement du colonel Vassos, n’interviendrait pas ; il avait été provoqué ; le recrutement, la mobilisation de ses troupes avaient été préparés par le général von der Goltz, ainsi que le plan des opérations. Sur ce terrain de médiocre étendue, contre cet imprudent adversaire, si faible comparativement à lui, il était sûr du succès.

Le plan d’opération primitif était assez simple. Les Grecs avaient engagé les hostilités en Epire et en Thessalie ; mais l’Epire ne pouvait être que le théâtre d’une guerre de montagne. Après une victoire vers Arta, les Turcs devaient venir se buter contre les rives du golfe de Corinthe et sur les monts de l’Acarnanie, faciles à défendre ; et, d’autre part, même la prise de Janina par les Grecs ne pouvait contre-balancer un échec subi par eux en Thessalie. Von der Goltz avait donc proposé en 1886 de ne rassembler en Épire que deux faibles divisions, et de jeter au contraire en Thessalie de fortes masses qui, pénétrant en Grèce au sud de Damasi, tomberaient sur le flanc gauche des forces ennemies dans la Basse-Thessalie, et leur couperaient leur ligne de retraite sur Pharsale et Volo.