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ils peuvent compter que leur aîné garnira leur poche de bank-notes, qu’ils sont certains d’être recommandés et soutenus par le crédit de leur famille. « Du vieil éleveur australien ou de l’économiste français, se demandait mon voisin, lequel a raison ? »

Il avait encore d’autres étonnemens. M. Demolins distingue les nations communautaires et les nations particularistes. Chez les peuples communautaires, dans lesquels il comprend les races latines et les Allemands, l’État est une providence chargée de veiller au sort des particuliers, qui lui sacrifient de grand cœur leurs plus précieuses libertés, en échange des secours qu’ils attendent de lui. Dans les sociétés particularistes, le principal souci des individus est de défendre leur liberté contre toute immixtion de l’État ; ils entendent répondre seuls de leur destinée, ils ne comptent que sur leur travail, leur énergie, leur persévérance, leur volonté. Or s’il est vrai que l’Anglo-Saxon, disait mon voisin, soit de tous les peuples le plus particulariste, comment se fait-il que les Américains soient protectionnistes à outrance ? Pourquoi ont-ils voulu que l’État prit sous son patronage la prospérité de leur commerce et de toutes leurs industries ? Pourquoi y a-t-il chez eux tant de gens qui aiment à vivre sur le commun, que les pensions qu’ils leur servent grèvent le budget d’une dépense de 800 millions de francs ? S’il est vrai que la principale préoccupation de l’Anglo-Saxon soit de faire lui-même ses affaires et de s’affranchir de toute tutelle, d’où vient que le parlement et le gouvernement anglais reculent sans cesse les limites de leur compétence et se mêlent de beaucoup de questions, qui autrefois n’étaient point de leur ressort ? Pourquoi l’État a-t-il déclaré que toute école primaire qui accepterait ses subventions serait tenue d’admettre les inspecteurs de Sa Majesté, et de se conformer aux prescriptions d’un code approuvé par le parlement ? Pourquoi tout le monde a-t-il voulu être subventionné et inspecté ? Pourquoi, au cours des vingt dernières années, les dépenses de l’instruction publique sont-elles devenues une des lourdes charges du budget ?

Autres questions. Si les Anglais font passer avant tout les libertés individuelles, dont nous faisons si bon marché, pourquoi sommes-nous libres à notre choix de travailler le dimanche, si cela nous plaît, ou de tirer la perdrix, ou d’aller au concert, et pourquoi ne le sont-ils pas ? S’il est vrai, comme l’affirme M. Demolins, qu’ils considèrent le travail intense comme une source de bonheur, pourquoi leurs ouvriers mécaniciens, qu’ils aient ou non des pianos, se sont-ils mis en grève pour contraindre leurs patrons à ne les faire travailler que huit heures