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de jours de fatigue, d’émotions poignantes ! Il se souvint brusquement des deux dépêches contradictoires envoyées le 26 par Bazaine après la conférence. L’une au ministre de la guerre : « Toujours sous Metz avec munitions d’artillerie pour une bataille seulement. Impossible de forcer les lignes de l’ennemi dans ces conditions, derrière ses positions retranchées. » L’autre à Mac-Mahon : « Nos communications sont coupées, mais faiblement ; nous pouvons percer quand nous voudrons, nous vous attendons. » Et dans un abattement profond, il voyait trouble, il ne savait plus.

D’Avol fut ému de sa tristesse :

— Allons, explique-moi cette histoire de Grimont, tranquillement, mon vieux Pierre !…

— Le maréchal, fit Du Breuil, a exposé la situation. Soleille a tracé le rôle militaire et politique que devait jouer l’armée du Rhin ; en cas de paix, elle pèserait d’un grand poids dans la balance et sauvegarderait à la France la possession de la Lorraine. D’ailleurs, nous n’avons, a-t-il dit, de munitions que pour une bataille, et il a proposé de rester sous Metz, en inquiétant l’ennemi par des opérations de détail. Ladmirault et Frossard ont approuvé, Frossard insistant sur l’épuisement, pour ne pas dire le découragement de l’armée. Canrobert a réclamé qu’au moins on ne restât pas inerte : « Donnons des coups de griffe partout et incessamment ! » Lebœuf a repoussé avec vivacité la responsabilité des malheurs de la campagne. Bourbaki eût voulu qu’on se donnât de l’air, en trouant par Château-Salins, — mais sans munitions, que faire ? Coffinières, enfin, a affirmé que la place et les forts ne tiendraient pas quinze jours, que l’armée devait rester sous Metz. Bazaine a dit : Amen ! Et voilà !

— Mais Mac-Mahon dans tout ça ? Qu’est-ce qu’on en fait ? Comment ! il découvre Paris ;… pour nous venir en aide, il s’expose à être pris entre deux armées, et nous ne bougeons pas ? Bersheim, qui venait de rentrer, accentua :

— Tout cela est louche, mon ami. Bazaine avait reçu le 23 une dépêche de Mac-Mahon. Il l’a bien reçue, n’est-ce pas ? Quelqu’un qui le sait, l’a affirmé.

— Allons donc ! fit Du Breuil incrédule.

— Voulez-vous que je le nomme ? Bersheim baissa la voix : — Eh bien, le colonel Charlys a dit ce matin, à une personne dont je réponds comme de moi-même, que le 23, vous entendez bien, il a vu, de ses yeux vu, une dépêche que le maréchal