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Deak, réalisé par Beust et Andrassy, a été, somme toute, une solution ; il ne pouvait pas en être une entre les divers pays dont se compose l’Autriche.

Il n’était pas encore mis en vigueur que les Tchèques en dénonçaient l’arbitraire. Pourquoi un compromis avec la Hongrie, et pourquoi pas de compromis avec la Bohême ? Pourquoi une monarchie à deux couronnes, et pourquoi pas à trois ? Un péril conjuré, un autre se découvrait tout de suite : non plus le péril magyar, mais le péril tchèque : l’Autriche, assurée au sud-est, et gardée des Hongrois par la Hongrie, devait, sans répit, faire face au nord. Au bout de trente ans, pendant lesquels le mouvement tchèque n’a fait que grandir, — les Vieux Tchèques étant éliminés par les Jeunes et ceux-ci, à leur tour, entamés par de plus Jeunes ou de plus radicaux, mais tous d’accord sur le but, sinon sur les personnes et la méthode, — après ces trente années, l’Autriche, c’est-à-dire l’Empereur, se trouve vis-à-vis de la Bohême dans une situation sensiblement pareille à celle où elle se trouva vis-à-vis de la Hongrie, de 1860 à 1867.

Mais François-Joseph a trente ans de plus ; et ce n’est pas impunément qu’un demi-siècle durant, on porte le poids d’un souci comme le sien. Il s’est prêté à toutes les expériences : toutes, il les a laissé poursuivre avec une correction et une foi scrupuleuses : il a consenti à tout oublier et à tout apprendre. Du régime centralisé, absolutiste, quasi théocratique, de l’Autriche d’avant 1859, il a passé au régime dualiste, constitutionnel et libéral, de l’Autriche-Hongrie d’après 1867. Même les propositions plus ou moins franchement fédéralistes du comte Belcredi et du comte Hohenwart, il ne les a pas rejetées sans les entendre : il est allé d’un pas ferme, en droite ligne, jusqu’à l’extrême limite de son devoir impérial. Pourtant, il est las à la fin d’être l’unique point d’attraction de tant de forces centrifuges, las de retenir et de soutenir cette brassée d’Etats qui s’échappent. Il souffre de sentir qu’entre ses peuples il n’y a que le lien magnétique du respectueux amour que tous, indistinctement, lui ont voué, qu’ils ne s’aiment les uns les autres qu’en cet amour, et qu’ils ne se supportent qu’en lui…

« Je dis donc, écrivait un moine du couvent de Santa-Croce, racontant la fuite de Dante exilé, que lorsque cet homme, en route pour des pays au-delà de nos monts, vint à traverser le diocèse de Luni, attiré soit par la sainteté du lieu, soit par