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Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit ;
C’est sous Louis-Treize… Et je crois voir s’étendre
Un coteau vert que le couchant jaunit.

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre les fleurs.

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Monde aux yeux noirs, en ses habits anciens…
Que, dans une autre existence peut-être,
J’ai déjà vue, et dont je me souviens !

(1831.)


L’idée que les âmes peuvent émigrer d’un corps à l’autre, inattendue chez un enfant, était le fruit des mauvaises lectures de Gérard à Montagny. Son oncle possédait une bibliothèque nombreuse, formée en partie sous la Révolution et dans une phase de mysticisme. Ayant changé d’idées, le vieillard avait relégué au grenier une foule d’ouvrages dus aux mystagogues et aux occultistes du XVIIIe siècle, et il ne s’aperçut sans doute point que son neveu les y avait dénichés. — « Ayant fureté dans sa maison, raconte celui-ci, jusqu’à découvrir la masse énorme de livres entassés et oubliés au grenier, — la plupart attaqués par les rats, pourris ou mouillés par les eaux pluviales passant dans les intervalles des tuiles, — j’ai, tout jeune, absorbé beaucoup de cette nourriture indigeste ou malsaine pour l’âme ; et, plus tard même, mon jugement a eu à se défendre contre ces impressions primitives. »

Si Gérard de Nerval s’est jamais défendu contre les impressions intellectuelles de sa première jeunesse, il a perdu ses peines. Devenu plus mûr, il avait un jour dressé une liste d’ouvrages, ou de sujets, qu’il lui paraissait urgent d’étudier. Voici quelques titres pris parmi une quarantaine, et le reste est à l’avenant : L’Hermès, — Mémorial fatidique, — Livres sibyllins, — Horoscopes, — Lettres cabalistiques, — Mauvais œil, — Prophéties diverses. C’est d’un homme qui a abandonné la lutte contre les idées dont il avait, dans une heure de bon sens, mesuré la puissance et compris le péril. Tout avait conspiré à lui brouiller la cervelle. Par une sorte de fatalité, les meilleures intentions tournaient contre lui. M. Labrunie avait repris son fils parce qu’il s’était aperçu que Montagny n’était pas sain pour lui, mais ce fut pour