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provinces. Un ancien dans chaque groupe attaque les couplets de la cantilène, et ses compagnons, de toutes leurs forces, scandent le refrain :


Evviva, San Nicola ! San Nicola, evviva !


Puis le fil de la chanson passe au groupe voisin, sans jamais se rompre jusqu’à l’aube.

La ville est réveillée par une canonnade enragée, et de très bonne heure on commence les préparatifs de la fête, qui est une représentation de l’arrivée des saintes reliques apportées en 1084 par un vaisseau de Bari qui revenait d’Orient. Une procession solennelle accompagne la statue de la place du Lion jusqu’au môle du vieux port ; on y voit toutes les autorités en grand costume, depuis le préfet jusqu’au grand prieur de Saint-Nicolas qui représente le roi, seul maître de la basilique palatine, et qui porte la crosse et la mitre, en rival de l’archevêque, représentant du pape. Les pèlerins suivent en files interminables, le cierge à la main ; avec leur vêtement rude et leur mine farouche, ils ont l’air de brigands qui marcheraient à un autodafé, entre les pompons des gardes municipaux et les plumets des carabiniers. Le cortège arrive à la mer, et la foule se masse le long des berges, tandis que les fanfares font rage, et que les batteries de bombes crépitent avec fracas. A travers la fumée qui roule, on aperçoit les antennes pavoisées de deux belles tartanes accouplées, qui portent à l’avant un reposoir couvert de lumières où le clergé va déposer la statue. Les tartanes s’ébranlent, entraînées par un remorqueur chargé de musiciens et escortées par toute une flottille d’embarcations. Elles voguent ainsi jusqu’à une anse de sable située à une lieue de la ville neuve, et elles jettent l’ancre à cent mètres de la rive. Tout le monde revient, laissant en mer la statue sur la nef symbolique ; puis, vers minuit, le remorqueur va reprendre les tartanes, suivi des barques illuminées, et le saint revient triomphalement vers sa ville, salué par les cuivres, les pétards et les fusées.

La fête est terminée, mais le pèlerinage continue bien des jours encore. Les bandes qui sont restées sur le Gargano pour la Saint-Michel et les retardataires par centaines affluent toujours vers la crypte de Bari. Il faut que chaque famille emporte sa bouteille pleine de l’eau mystérieuse qui suinte des ossemens de saint Nicolas, comme d’une source intarissable. Puis les pèlerins des Abruzzes reprennent le chemin de leur village lointain, que