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doivent prendre part à l’action, une reste en arrière, en réserve, celle de Néchat.

La concentration des troupes a eu lieu à Iénibégler, à une douzaine de kilomètres de Larissa. Bientôt nous entendons le bruit du canon : ce sont les Grecs qui tirent des hauteurs de Karadémirdji, défendant le rebord de la cuve. Les Turcs répondent, placés à 3 000 mètres en arrière ; et la division de Hamdi-Pacha commence un mouvement sur la droite. Tout cela a pris du temps. A midi seulement les batteries grecques se sont tues, et la division Memdouh commence l’attaque de Karadémirdji. Le pays est vallonné, parsemé de petits bois d’oliviers rabougris, de cyprès noirâtres derrière lesquels se cachent les tirailleurs des deux armées, et avec des jumelles on distingue parfois à 800 mètres un officier hellène, correct, d’un chic français, l’élégance sobre de son uniforme faisant contraste avec la vétusté du costume de la plupart des officiers inférieurs de l’armée que j’accompagne. Un soldat turc est près de moi, couché derrière une souche, chargeant et déchargeant son fusil Martini Henry avec une attention régulière et prudente. Mon souvari, c’est-à-dire le cavalier qu’Edhem-Pacha m’a donné comme sauvegarde, — un israélite de Salonique qui parle le français de la façon la plus vive et la plus correcte, — l’interroge pendant une pause : « Es-tu du nizain ou du redif (de l’armée active ou de la réserve) ? — Du redif, répond-il. J’étais dans la campagne, là-bas, à Trébizonde. Les plus anciens soldats de réserve m’ont envoyé chercher un jour. Ils étaient sur la place du village, avec l’iman, le prêtre de la mosquée. Ils m’ont dit qu’il y avait la guerre et qu’il fallait partir. J’ai dit que c’était bien ; il y a eu de grandes prières à la mosquée, on a lu le Livre, et nous avons crié : Longue vie au Padischah ! Après, nous sommes allés à Constantinople, ceux du village qui devaient le service et moi. On nous a habillés, on nous a donné des fusils. J’étais à la prise du fort de Kapou-Tépé, avant Tyrnavos. »

L’homme est marié, il a des enfans ; toute cette famille est restée dans la lointaine Trébizonde, sous la garde des vieux parens et des antiques coutumes musulmanes qui cacheront sa femme à tous les regards. Il sera ghazi, c’est-à-dire victorieux, s’il revient vivant ; s’il est tué, il aura des gloires spéciales au paradis. Dieu l’a envoyé là, et il fait son devoir.

Cependant on tire toujours, avec abus, car le résultat est