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hellènes, tandis que s’opérait le mouvement de gauche. Edhem-Pacha, debout sur un petit monticule herbu, est toujours le même, lent, prudent et froid. Quelqu’un lui propose l’assaut à la baïonnette, il sourit sans répondre, et dit quelques mots à deux officiers qui enlèvent leurs chevaux et partent par la gauche au grand galop. C’est l’ordre aux deux divisions de Hakki et de Memdouh de terminer leur mouvement de revers. Les Grecs, qui ont bravement tenu sur leurs montagnes, vont être tournés pur l’est ; et après tant de bruit, tant de feu, tant d’incendies allumés, le moment où cet ordre, donné à demi-voix, décide du sort définitif de la bataille, est peut-être le plus émouvant de la journée. « Vous pouvez faire un Sedan, dit l’attaché militaire allemand : l’armée grecque est prise au filet. » Mais le maréchal garde encore le silence, et je pense de nouveau, — peut-être me trompé-je, — qu’il y a dans cette guerre autant de diplomatie que de stratégie, et que ce chef d’armée sait ou soupçonne qu’il ne serait pas bon d’être trop victorieux et de pousser les choses à l’extrême vis-à-vis de l’Europe.


Il fait nuit noire : des blessés commencent à passer on assez grand nombre, à califourchon sur des chevaux de but. Deux cavaliers turcs nous croisent : on ne trouve rien à manger ici, ils retournent à Pharsale de leur propre autorité. Peu importe à la discipline, pourvu qu’ils aient rejoint l’escadron le lendemain au réveil. Le soldat turc est ainsi, débrouillard avec placidité. Mais mon cheval, ainsi que celui du correspondant qui s’est joint à moi, est trop fatigué pour fournir une aussi longue course ; nous nous décidons à nous approcher d’un bivouac pour y passer la nuit. Ce sont des Albanais Guègues, mon compagnon parle leur dialecte, et nous sommes reçus comme des rois. Blonds de chevelure avec des nez en bec d’oiseau de proie, des yeux bleus, des membres de géans, ces rudes pillards diffèrent plus des Turcs qu’un Marseillais d’un Lillois. Ils chantent, rient, bavardent sans fin. Maintenant qu’ils nous ont adoptés, ils seront fidèles à leur parole ; nous n’avons plus rien à craindre.

A deux heures du matin, des fanfares de clairon éclatent, quelques bicoques s’allument en signal : c’est la division Memdouh qui vient d’entrer dans Domokos évacué par les Grecs…

Le surlendemain deux divisions turques menées par Sefoulah-Pacha, qui avait auparavant reconnu le terrain,