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observait, parmi les croyans fervens, un goût d’isolement, et le besoin de former, à quelques-uns, une fraternité spéciale cimentée par l’amour divin : en général, c’est en exagérant un dogme ou bien en développant quelque hypothèse théologique qu’ils trouvaient prétexte à cette séparation. Michael Hahn, Rapp, Preziger construisaient à grands renforts de rêves certains systèmes théologiques ou philosophiques, et ces systèmes étaient un point de départ pour la formation de communautés. Sous l’impression de ces novateurs, un certain nombre de fidèles détachaient les chaînes qui jusque-là les reliaient à l’Église officielle, et proclamaient bien haut leur rupture : pour mettre le consistoire en rage, les partisans de Rapp affectaient de travailler le dimanche. Gustave Werner, « le Père Werner », comme l’on dit à Reutlingen, mort il y a quelques années, n’avait point ces allures d’outlaw : persécuté par l’Église officielle du Wurtemberg pour les initiatives apostoliques auxquelles il s’abandonnait, soupçonné d’ailleurs de trop de complaisance pour les doctrines de Swedenborg, il finit par donner sa démission de pasteur ; et la petite communauté chrétienne dont il était le chef avait à l’endroit de l’Eglise des allures indépendantes, mais non point séparatistes. Essai de réalisation du principe communiste, cette communauté rassemblait quelques centaines de braves gens, qui faisaient une masse de tout ce qu’ils possédaient, et qui se promettaient, les uns aux autres, de vivre dans le labeur et la piété ; en moins d’un demi-siècle, on a fait, sur ce carré de terre de Reutlingen, l’expérience décisive qu’une société communiste ne pourrait subsister qu’à la condition d’être une compagnie de célibataires ; sur l’emplacement où le vieux Werner avait voulu prouver le communisme en l’appliquant, un certain nombre de fabriques, où des gérans surveillent des salariés, donnent aujourd’hui quelque bénéfice pour l’entretien des œuvres de charité créées par Werner ; quant à la fraternité communiste, elle se décime, tête par tête, et chaque membre qui meurt n’est point remplacé.

Les statuts de ces petites communautés religieuses, qui vont se multipliant un peu partout, et jusque dans la Prusse orientale et la Poméranie, sont infiniment variés : certaines, fidèles aux Eglises officielles, y réchauffent l’éclat du flambeau chrétien ; d’autres, en plus grand nombre, observent à l’endroit des clergés d’Etat une attitude frondeuse ou chagrine. Quant à la statistique de ces communautés, il est impossible de la dresser : elles n’ont