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Sainte-Beuve et où nous avons trouvé ce plaisir de voir saigner une intime blessure, elles ne sont remarquables que par leur insignifiance. Toutes ces lettres ont d’ailleurs un caractère commun, c’est que celui qui les écrit en est l’unique héros. Victor Hugo ne parle que de lui-même, des événemens de sa vie de famille, de ses romans, de ses pièces de théâtre, de ses rapports avec les éditeurs, avec la censure, avec les journaux où il faut faire passer de petites notes. Affaires de famille, affaires de cœur, préparation des œuvres, souci de la réclame, rivalités, choses de métier, c’est ce qui remplit ces lettres où le cœur s’épanche, où la vanité déborde. Cela, en même temps, leur donne une incomparable valeur de document et leur retire toute valeur d’art. A peine est-ce si les lettres de Vigny, si charmantes et qui lui font tant d’honneur, échappent à ce défaut d’être toutes personnelles. Seule la correspondance de Mérimée fait complètement exception. Les lecteurs de cette Revue n’ont sans doute pas perdu le souvenir des lettres qui ont été publiées ici même. Leur apparition en volume nous est une occasion pour parcourir l’ensemble de cette correspondance, telle du moins que nous la possédons aujourd’hui ; car beaucoup de lettres de Mérimée sont encore inédites, et il en existe d’importantes séries que sans doute on nous donnera quelque jour. Cette étude nous fournira les élémens d’une réponse à la question de savoir pourquoi nos contemporains n’écrivent plus de lettres. Car on s’accorde à constater ce phénomène, et à lui assigner pour causes la découverte du télégraphe et la diffusion du journalisme. Et ces causes ne sont pas sans valeur ; mais il se pourrait qu’il y en eût d’autres, plus profondes, et qui tiennent à l’organisation de notre société, à la place qu’y occupe l’homme de lettres, au rôle qu’il s’y attribue, ou, si l’on préfère, à la façon dont il y exerce son métier.

Mérimée aimait à écrire des lettres. Bien lui en a pris. Car depuis vingt-sept ans qu’il est mort, la postérité a commencé pour lui et elle a déjà rejeté une bonne partie de son œuvre. Mais il se trouve qu’à mesure qu’on a publié de nouvelles parties de sa correspondance, son bagage littéraire s’est accru d’autant. Ces lettres contiennent quelques-unes de ses meilleures pages. On y retrouve tous les mérites qu’on lui connaissait, la même originalité d’esprit, le même tour d’ironie, le même art pour conter, la même sobriété et justesse de style. Et d’autres s’y font jour qu’on ne prévoyait pas : une variété, un abandon, une simplicité non apprêtée, un naturel qui ne semble pas le résultat du travail et de l’effort. En outre, ces lettres nous font mieux connaître l’homme que fut Mérimée, et découvrent certains aspects de