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divertissemens projetés, des fêtes, des bals, des réceptions à Saint-Cloud ou à Fontainebleau. Il lui donne des conseils pour jouer la comédie de salon et lui fait la guerre pour ses coiffures. Il la met au courant de certains événemens dont il importe qu’elle soit avertie : c’est à savoir que Mme de P… vient d’accomplir une grande révolution pour le raccourcissement des robes ; que Mme de T… a maintenant les cheveux blonds ; que la princesse de M… s’est jetée dans la peinture et opère sur elle-même : « Elle a des lèvres d’une couleur de feu ravissante avec lesquelles on peut boire du thé sans les laisser sur la tasse. » Il y a en Mérimée un mondain à l’esprit ingénieux et fertile en ressources pour toutes les sortes de futilités, l’organisateur des charades à l’usage des souverains en tournée, l’imprésario du théâtre de Compiègne. Il est de bon conseil en cas de bal costumé, étant de ceux qui voient la couleur d’une robe et la forme d’un chapeau et comment cette robe et ce chapeau s’harmonisent à la beauté de celle qui les porte. Il peut à l’occasion causer de chiffons. Cela entre pour un peu dans l’attrait que les femmes trouvent à sa conversation. Elles apprécient encore en lui ce talent qu’il a de dire avec infiniment de politesse et de décence des choses épouvantables. Dans les lettres qu’il adresse à mistress Senior, il s’amuse à effaroucher ses timidités de puritaine et d’Anglaise. Il disserte avec elle doctement de l’organisation du ménage à trois en Espagne ; à l’entendre, ce qui n’est ailleurs qu’un usage serait, au-delà des Pyrénées, une institution. Il s’étend encore sur les avantages d’une coutume espagnole d’après laquelle les demoiselles de bonne maison, quand elles ont eu un enfant, l’envoient à quelque grand seigneur qui le fait élever avec soin. Si les lettres à Mrs Senior n’étaient remplies que de pareilles gentillesses, elles ne contribueraient que faiblement à faire tenir Mérimée pour homme de tact. Par bonheur, on y aperçoit déjà cette nuance de sensibilité délicate, de jolie intimité, de confiance et de mélancolie, qui fait le charme des lettres que Mérimée adresse à des femmes.

On sait assez que la conversation est impossible sans les femmes : elle n’existe que par elles ; elle est née sous leurs yeux, elle a duré autant que leur règne. De même nous ne nous soucions de porter l’art épistolaire à sa perfection que s’il s’agit d’en faire un hommage pour elles. C’est alors que nous nous ingénions à trouver des sujets qui puissent intéresser ou amuser celle qui nous lira : nous en empruntons aux nouvelles de la vie publique, aux menus faits de la vie privée, à la chronique du monde et des arts, mais surtout nous puisons dans notre imagination et dans notre fantaisie ; plus qu’aux choses