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Charpentier dans le sentiment italien. Dans le sentiment plus encore que dans le style, car pour le style, sinon pour l’idée ou la couleur, cela me paraît au-dessus même de l’un des meilleurs spécimens du genre, la sérénade de Cavalleria. Cela est plus fin et cela est plus « fait » ; la main est plus « adroite » et la « patte » aussi vigoureuse. Vraiment c’est une chose exquise que cette chanson qui chemine, farouche et légère, avec son accompagnement de sonnailles, qui tinte et qui trotte en même temps. Chanson d’amour et d’amour trahi, qui regrette et qui pleure ; chanson comme depuis Carmen peut-être il n’en avait guère été chanté. Chanson de plein vent, chanson à pleine voix et à plein cœur, coupée ça et là d’une apostrophe irritée, ou fouettée d’un trait rapide et qui cingle. Parfaitement simple et fortement expressive, qu’est-ce donc qui la rend à la fois et si rude et si douce ? Ce qui la rend si rude, ce sont trois ou quatre notes du chant, un peu âpres à dessein, pour blesser en quelque sorte l’harmonie et la faire crier. Et voici ce qui la rend si douce. A la voix qui passe répondent des voix qui demeurent ; au triste refrain, des refrains heureux. Très loin, à la fontaine, des jeunes filles chantent. Elles chantent à deux parties, pas davantage, à la tierce, et j’imagine que M. Charpentier lui-même a dû s’étonner de l’effet délicieux que peut produire encore l’humble tierce aujourd’hui méprisée, la pauvre vieille consonance d’autrefois. C’est par elle, par le charme innocent de ses deux notes jumelles, que s’ouvre derrière la strophe éclatante un lointain d’ombre qui fait rêver ou se souvenir : bois d’orangers ou de chênes verts, avec des sources froides où des laveuses d’Hébert plongent leurs bras ambrés. Lisez, lisez la mélodie gravée en bleu de ciel, la mélodie couleur du temps, du temps qu’il fait là-bas, et si vous avez cheminé jamais sur les sentiers de Subiaco ou sur les falaises d’Amalfi, vous ne l’achèverez pas, la chanson d’Italie, sans « un vague désir de larmes ».

… Eh bien ! non ; après cela je ne veux point parler des Proses lyriques de M. Debussy, de l’auteur singulièrement estimé déjà — oh ! singulièrement ! — de la Demoiselle élue et du Prélude à l’après-midi d’un faune. Parmi d’autres « ariettes » de ce jeune et décadent musicien, il en est deux qui ne m’ont pas tout à fait déconcerté. J’aime assez, pour sa mélancolie dolente, écœurée, pour le petit bruit de gouttière que fait l’accompagnement, la mélodie sur les paroles de Verlaine : Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville. Les cloches (poésie de M. Paul Bourget) font délicieusement voir de quels rayons et de quelles ombres un harmoniste moderne arrive à colorer une basse de trois notes invariables. Mais des Proses lyriques, encore