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n’ont qu’une seule note, mais de cristal, et Beethoven le savait bien. Pauvres petites bêtes ! Leur prêter cet affreux piaillement, qui va — pardonnez si je précise l’accusation — de la majeur à do naturel par un sol naturel, note sensible altérée de la et dominante de do. Rien qu’à lire, comme cela, ce n’est déjà pas bien joli. Mais si vous saviez ce que c’est à entendre !

Et la tonalité, que devient-elle, en cette musique livrée au caprice des modulations incessantes ? En cette même mélodie, une ligne, une seule, et prise au hasard, se compose de trois mesures, mais quelles mesures ! Cinq dièses à la clef pour les deux premières, ce qui n’empêche pas la première d’être en sol, ou de le paraître. Quant à la troisième, elle comporte à elle seule cinq bécarres, puis cinq bémols, en tout dix accidens, trois de plus qu’il n’y a de notes. Et pour comble, en dépit des cinq bémols, cette mesure finit pas être non pas, comme elle le devrait, en ré bémol, mais en si bémol seulement, grâce à quelques bécarres survenus… Comprenez-vous ? — Moi non plus, ou à peine. Sous un tel régime, chaque tonalité finit par ne plus durer qu’une demi-mesure, que dis-je ? par ne plus même s’établir. Toutes s’annoncent toujours, sans que jamais aucune se réalise. Et je veux bien que ce genre de beauté, ce jeu de reflets chatoyans se trouve sur le cou changeant des colombes ; mais il se rencontre aussi à la surface des choses en train de se décomposer et de se corrompre.

Après cela je ne tairai point que parmi les neuf mélodies de ce recueil il en est une au moins, peut-être deux, pour lesquelles j’oublierais volontiers les autres. Et je sens que j’oublierai même ces deux-là pour leurs aînées d’hier ou de jadis. D’abord pour ce bref et délicieux Poème d’un jour, en trois lieder, dont chacun chante une de nos heures : l’heure où l’amour nous prend, celle où il nous tient, et celle où il nous quitte. De ces trois momens, — en musique, — je ne sais lequel j’aime le mieux.

J’hésite entre les trois mélodies, tant il y a de tristesse attirante dans l’une, d’éclat et de passion dans l’autre, et, dans la dernière, de mélancolie souriante et résignée.

Mais surtout, remontant la série des lieder de M. Fauré et le cours de notre vie, oui de notre vie à tous deux, je me souviens des chants qu’il composait autrefois. Il était alors un jeune homme à la chevelure sombre, déjà neigeuse, et je n’étais qu’un enfant. Nous passions l’un et l’autre, dans une maison amie, sur la grève normande, l’été qui suivit nos désastres. Chaque jour, par les fenêtres ouvertes, j’écoutais une voix de femme, pour laquelle une de ces mélodies fut écrite, les