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recoins obscurs, et de serrer de plus près la solution de quelques problèmes pour lesquels on a de nouvelles données.


I

A dix-huit ans, Rousseau avait passé à Paris quelques semaines ; et il en était reparti avec la bourse plus légère, sans avoir tiré aucun profit de son séjour. Il y revenait après onze ans écoulés, aussi inconnu que la première fois, et sans beaucoup plus de ressources. Il comptait, pour faire son chemin et percer, sur une méthode qu’il avait inventée pour noter la musique en chiffres : c’est une idée qui a été reprise de nos jours par MM. Galin, Paris et Chevé. L’Académie des sciences, qui prit alors la peine de s’en occuper, l’écarta poliment après l’avoir examinée ; et le public, auquel Rousseau en appela de ce jugement, ne se soucia point de lire sa Dissertation sur la musique moderne. Mais pendant le temps qu’il avait passé à la poursuite d’une chimère, Rousseau n’avait pas laissé de faire à Paris quelques connaissances, entre autres celle de l’abbé Alary.

D’Alembert, dans l’intéressante suite d’Éloges qu’il a écrite sur les membres de l’Académie française, a été indulgent pour l’abbé Alary, personnage effacé, « citoyen paisible et qui ne connaissait que ses livres, instruit et exercé dans notre ancienne langue française. » Il avait enseigné l’histoire au jeune Louis XV ; et pendant une cinquantaine d’années, il fut assidu aux séances de l’Académie. Les Confessions ne le nomment qu’en passant : c’est à lui cependant que Rousseau doit d’être allé à Venise. L’abbé Alary était l’ami de M. de Montaigu, capitaine aux gardes, qui venait d’être nommé ambassadeur, et qui cherchait un secrétaire : « Nous avons été bien trompés tous deux sur le sieur Rousseau, écrivait plus tard M. de Montaigu à l’abbé. Par rapport à vous qui me l’aviez donné, je mis tout en usage pour qu’il se plût avec moi. » Suit un long récit de ses griefs contre le Genevois insubordonné qu’il avait eu à son service, et toute une kyrielle de plaintes, justifiées sans doute, sur le caractère difficultueux et susceptible de Rousseau, sur « son humeur et son insolence, causées par la bonne opinion qu’il a de lui, et par de la folie. » Notons en passant ce mot de folie. M. de Montaigu est le premier qui ait vu chez Rousseau, alors âgé de trente-deux ans, le germe de ce que l’âge devait développer en lui. « L’ayant eu de votre main, dit en terminant M. de