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quitter son rang dans la colonne centrale pour se porter à vive allure vers Charleroi par un chemin de traverse. Sapeurs et marins s’élancèrent sur le pont et déblayèrent la barricade, ouvrant le passage aux escadrons de Pajol. Les Prussiens s’étaient déjà retirés. Les cavaliers, gravissant au grand trot la rue tortueuse et escarpée qui traverse Charleroi du sud au nord, les poursuivirent jusqu’à la bifurcation des routes de Bruxelles et de Namur. Pajol détacha le 1er hussards sur la route de Bruxelles pour éclairer la gauche et s’engagea avec le gros de sa cavalerie sur la route de Namur par où les Prussiens débusqués de Charleroi opéraient leur retraite.


IV

Il était un peu plus de midi. L’Empereur, acclamé par les habitans, traversa Charleroi. Il s’arrêta au pied des glacis éboulés, à quelque cent mètres de l’embranchement des routes de Bruxelles et de Namur, près d’une petite guinguette située à gauche de la route et appelée la Belle-Vue. De là, on dominait toute la vallée de la Sambre. Il descendit de cheval, se fit apporter une chaise de la Belle-Vue et s’assit à une dizaine de pas de la route pour regarder passer les troupes. En l’apercevant, cavaliers et fantassins poussaient des vivats qui couvraient les roulemens des tambours et les éclats des trompettes. L’enthousiasme tenait de la frénésie ; les soldats sortaient des rangs « pour embrasser le cheval de leur Empereur ». Selon un témoin, Napoléon s’assoupit bientôt, et le bruit des acclamations ne put le tirer de son sommeil. Le fait ne paraît pas invraisemblable si l’on se rappelle qu’à Paris, aux mois d’avril et de mai 1815, l’Empereur était pris souvent de ces somnolences soudaines, et si l’on réfléchit que ce jour-là, à midi, il était resté déjà sept ou huit heures à cheval.

Il dormit bien peu de temps, car, à une heure et demie au plus tard, Gourgaud qui avait accompagné le 1er hussards sur la route de Bruxelles revint au galop annoncer que les Prussiens se montraient en forces à Gosselies. L’Empereur, inquiet pour sa gauche, envoya en soutien du 1er hussards Lefebvre-Desnouëttes avec la cavalerie légère de la garde (chasseurs et lanciers) et fit établir sur la route de Bruxelles, à deux kilomètres de Charleroi, un des régimens de jeune garde de Duhesme et une batterie à