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de simple soldat, car il n’avait été que cela d’un bout de la guerre à l’autre, refusant de l’avancement à plusieurs reprises pour ne pas quitter son jeune frère Clifford, engagé comme lui. Clifford, à son tour, lui donna la même preuve d’attachement. Une étroite intimité exista toujours entre les deux frères, qui ont écrit en collaboration des pièces humoristiques du genre que l’on appelle plantation, verse.

Dans sa prison comme dans les camps, Sidney Lanier était réconforté par la musique ; tout le temps, — et c’était un sujet d’amusement pour ses camarades, — il porta sa flûte cachée sous ses vêtemens ; elle l’aidait à ne pas sentir les privations et à s’étourdir sur le mal qui commençait à le miner, la consomption, contre laquelle il lutta quinze ans de suite. Le régime des prisons aida au développement de ce germe qu’il avait hérité de sa mère. Il était de fait déjà condamné quand, au mois de février 1865, il regagna sa Géorgie natale, forcé par la misère de faire à pied la plus grande partie du chemin. A peine rentré à Maçon, une congestion pulmonaire le mit aux portes du tombeau. Cette fois, cependant, deux mois de séjour à Point Clear, dans la baie de Mobile, parurent le remettre ; il vécut, au grand air, dans ces campagnes féeriques posées sur les eaux comme un mirage et qu’embaument le jasmin, les magnolias et les orangers. Ce fut peut-être là que, devant un latanier « déchiré en musique » par le vent du sud, il trouva la jolie expression de grief melodious soul, âme mélodieuse de douleur. Mais il ne s’agissait ni de rêver ni de chanter. Au lendemain de la défaite, tout le monde était ruiné ; Lanier, dès qu’il en eut la force, accepta, avec une bravoure supérieure encore à celle qu’il avait pu montrer sur les champs de bataille, une place de commis dans la ville manufacturière de Montgomery (Alabama). Peu après, il se rendit à New-York pour faire imprimer son roman des Lys Tigrés trop hâtivement écrit et mauvais en somme, à quelques scènes près, mais où se manifeste déjà son tempérament poétique. On y trouve ce passage sur un sujet qu’il traita toujours avec la plus grande élévation : « Je suis persuadé que l’amour est la seule corde de sauvetage que nous jette le ciel à nous, les naufragés, échoués dans la vie. Amour du prochain, amour de la femme, amour de Dieu, tous les trois sonnant comme des cloches dans un clocher et nous appelant à la prière qui est le travail. Selon qu’on aime plus ou moins, on est plus ou moins victorieux de la chair et de la mort, et plus nous aimons, plus nous sommes