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Directoire, que de fois l’initiative ou l’exemple de la spéculation sont venus d’en haut, du gouvernement, des hommes en place ! Qu’on se rappelle la spéculation sur les terrains, à Paris et dans nos grandes villes, sous le second Empire. Le même phénomène s’est reproduit, sur une plus grande échelle, avec plus de scandale, dans la nouvelle Rome, la troisième Home, celle qui prétendait éclipser la Rome des Césars et la Rome des Papes. L’agiotage sur les terrains et sur les constructions était encouragé, en quelque sorte officiellement, par l’Etat. La Banque romaine, l’infortunée Banque romaine, sous la pression gouvernementale, immobilisait une grande partie de ses ressources en prêts sur les terrains. C’était là une des formes de la mégalomanie qui a déjà coûté si cher à l’Italie nouvelle.

En France même, sous la troisième République, on pourrait dire que le gouvernement et les caisses gouvernementales ont longtemps été le principal facteur de la spéculation à la hausse, par l’emploi des fonds des caisses d’épargne et les achats incessans de titres de rente. C’était comme une machine d’épuisement des capitaux qui, au grand détriment de l’industrie ou de l’agriculture, fonctionnait dans toute la France, portant les économies du peuple à la Bourse, faisant monter, automatiquement, le cours des rentes. Et, dans leur naïveté, les ministres des finances, au lieu d’en comprendre le péril, en faisaient gloire à la République, se félicitant d’enseigner aux capitaux à déserter pour la rente les affaires locales. Spéculer à la hausse sur les rentes a, du reste, longtemps passé pour une œuvre patriotique, digne des encouragemens de l’Etat. « Monsieur le ministre, disait un spéculateur fort connu à Léon Say[1], je vais bien vous étonner ; il y a quinze ans que je suis à la hausse, et je ne suis pas encore décoré ! » Cela, en effet, en France comme dans la plupart des pays du continent, paraissait un titre aux faveurs gouvernementales. Peu de grands spéculateurs qui n’aient pu orner leur habit noir d’une brochette de croix de tout pays. Et ils peuvent être fiers de n’avoir pas été souillés, les ordres dont les rubans n’ont été décernés qu’aux honnêtes spéculateurs à la hausse sur les rentes ! Que de cordons, que de rosettes, et de plaques conférés aux pires agioteurs ! Les gouvernemens font trop souvent comme les particuliers, comme le public lui-même ; ils gardent leurs

  1. Léon Say, les Finances.