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sévérités pour l’escroc de bas étage ou le vulgaire banqueroutier ; ils respectent, ils honorent les brigands de la Bourse et les grands détrousseurs du public, craignant de s’en faire des ennemis et leur prodiguant des récompenses honorifiques. Ceci est surtout vrai, chez les modernes, de l’esprit de parti, du gouvernement de parti, qui s’appuie indifféremment sur toutes les forces qu’il rencontre, honnêtes et malhonnêtes, de préférence même peut-être sur ces dernières, parce que plus complaisantes et plus maniables. Faut-il citer des noms ? Chacun sait que l’homme qui, sous la troisième République, a gravi le plus rapidement les échelons de la Légion d’honneur est un aventurier étranger, bailleur de fonds des feuilles radicales. Et ne croyez pas que rien de semblable ne se rencontre en dehors de la République française. A quoi leur servent ces décorations, à ces chevaliers de l’agiotage ? Est-ce uniquement un hochet pour leur vanité ? Non, ils sont plus sérieux que cela ; une croix, pour eux, est une arme qui leur permet de faire de nouvelles dupes et de nouvelles victimes ; leur rosette leur donne le droit de se montrer plus exigeans lorsqu’ils tendent la main à une Compagnie.

Après de pareils exemples, on avouera qu’il est difficile de beaucoup compter sur l’État, sur le gouvernement, sur les ministres, sur les Parlemens, pour refréner la spéculation. Encore, ici, importe-t-il de ne pas se laisser prendre aux apparences. Il faut se défier des loups déguisés en bergers. Il y a bien des manières de faire de l’agiotage et de faire du chantage ; pour les politiciens, comme pour les journalistes, une des plus fructueuses est de jouer à la vertu. On fait ses petites affaires en criant haro sur les abus et en se donnant comme les défenseurs de la morale publique. Les plus bruyantes campagnes de presse ou de tribune contre les compagnies financières ne sont, trop souvent, sous couleur de bien public, que des campagnes de Bourse. Telle interpellation à la Chambre sur telle société, sur telle mine ou tel chemin de fer, masque un complot de financiers véreux. Le politicien et l’homme de Bourse s’associent pour la chasse aux écus ; le premier, d’habitude, un radical farouche, grand tombeur de ministères, dénonciateur attitré des abus, fait pour les agioteurs le métier de rabatteur du gibier. Nous avons assisté, depuis une vingtaine d’années, à plus d’un coup de Bourse monté ainsi entre députés, journalistes et spéculateurs, à l’aide d’une interpellation à la Chambre. Derrière l’interpellateur, s’abrite un