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réprimer, il faut bien autre chose qu’une loi de l’État ou une réforme de la Bourse ; il faut une réforme intérieure, une réforme morale. Or, pourquoi ne pas l’avouer ? c’est là une chose dont boursiers ou victimes de la Bourse, dont gros financiers ou petits bourgeois, dont capitalistes ou prolétaires n’ont guère plus de souci les uns que les autres. Ils laissent la morale aux moralistes de profession ou d’occasion, et s’ils leur prêtent, un instant, une oreille distraite, ils n’en montrent ni plus de scrupules, ni moins d’avidité dans la poursuite de la richesse.

Il en est de ce mal comme de tous les microbes qui nous assiègent. La mauvaise foi, l’improbité, le goût du jeu, la fureur de la spéculation ne font tant de victimes, autour de nous, que parce qu’ils trouvent, en nous, dans notre société, de nos salons à nos loges de concierge, un terrain favorable. Jamais il n’y eut, pour ces bactéries morales, meilleur bouillon de culture. Nous avons laissé s’affaiblir ou dépérir, dans l’éducation, dans la famille, dans la nation, dans l’Etat, tout ce qui pouvait refréner les penchans égoïstes et contenir les ambitions ou les convoitises malsaines. Nous avons besoin d’une réforme morale, et faute de foi, faute de convictions et de principes, les instrumens mêmes de pareille réforme semblent nous manquer. Je ne sais qu’une façon de réformer la société, c’est de réformer les individus, et cela même est le prix de longs efforts. Tout autre remède est chimérique, et cet unique remède est amer ; il rebute le grand nombre, si bien que parmi ceux qui en reconnaissent la nécessité, bien peu ont le courage de se l’appliquer. L’important serait de changer la morale des affaires, la facile morale courante ; mais cette immorale morale des affaires, cette malhonnête honnêteté vulgaire, le monde s’y accommode, le monde la fait sienne. Elle n’est pas seulement de mise à la Bourse, la croyance que le succès légitime tout ; elle triomphe dans la presse et dans la politique, autant et plus encore que dans la finance. En affaires comme en politique, comme en littérature, les scrupules semblent le fait de petits esprits. Toutes les corruptions forment une chaîne dont les anneaux se tiennent. La presse pornographique, le théâtre éhonté qui glorifie le libertinage sont les fauteurs ou les complices de la vénalité des politiciens et de la rapacité des agioteurs.

Relever le niveau moral de la nation en renforçant, chez tous, grands et petits, l’autorité de la conscience et le sentiment du devoir, telle est, ici, comme en toutes choses, la grande tâche.