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On remarquera le nombre des ouvrages philosophiques. C’était, en effet, un esprit porté à la méditation. Nous savons aujourd’hui de quelle couleur étaient les idées du comte quand il s’enfermait, comme le rapporte le jeune Gœthe, au fond de son appartement, ne laissant entrer personne. Ce sont de continuels examens de conscience, des exhortations à bien faire, à ne pas se laisser décourager par les nécessaires ennuis et déceptions de la vie. « Je suis content de mon état. Je n’ambitionne pas plus de fortune, et plus j’envisage l’avenir, plus j’e sens que j’e dois éviter les grandes places… Si j’examine bien le fond de mon âme, je trouverai peut-être qu’il est peu de gens qui aient tant à remercier Dieu pour avoir si peu fait. Ne suis-je pas trop heureux déjà ?… Quels sont les faits qui parlent pour moi ?… Je n’ai pas gagné de batailles, je n’ai pas fait de lois, je n’ai rien fait d’extraordinaire. Je ne dois pas m’attendre à un éclat qui ne peut être que le prix des grandes choses. Mais je puis mériter une estime universelle… Il faut méditer, réfléchir, pour donner un peu d’étendue à l’esprit ; je n’en ai guère… »

Ce galant homme était secrètement épris de la gloire. Il se répète trop souvent qu’il ne doit pas y compter pour ne l’avoir pas beaucoup désirée… On a vu plus haut que les habitans de la maison du Hirschgraben, bons observateurs comme on l’est toujours avec un hôte qu’on héberge malgré soi, n’étaient pas sans avoir découvert cette faiblesse.

Ils avaient cru remarquer aussi que vers la fin de son séjour, le gouverneur était devenu plus sombre. Nous savons aujourd’hui les motifs de ce changement d’humeur, auquel il ne faut pas chercher une cause romanesque. Tout en remplissant de façon exemplaire ses fonctions à moitié civiles, le comte de Thorenc attendait avec impatience le moment de reprendre sa place dans le rang. S’autorisant des services rendus, il avait fait une demande au maréchal de Belle-Isle pour obtenir le grade de colonel. Mais celui-ci lui répond, à la date du 5 juillet 1759 : « Le roi ayant agréé que vous restiez à Francfort pour y être chargé du détail du service de cette place, il ne faut pas que vous songiez à en sortir pendant que les troupes françaises y resteront. C’est une place de distinction dont vous devez être flatté qu’on vous ait donné la préférence et S. M. vous saura autant de gré des services que vous y rendrez que si vous la serviez dans ses armées. » Le comte fut très malheureux de cette réponse. Il renouvela sa