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qui en est la condition, et cette étude est alors inséparable de la biologie ; ou bien on étudie les lois intellectuelles dans leurs résultats, c’est-à-dire dans l’évolution historique des connaissances humaines, et on institue alors la sociologie. Mais la biologie, comme la sociologie, suppose les autres sciences fondamentales. Donc, une philosophie qui perd le contact de ces sciences, et qui prétend faire de l’analyse du moi sa seule méthode, ne peut rire que creuse, sinon fausse.

En conséquence, dans son Cours de Philosophie positive, A. Comte fait précéder la sociologie d’une philosophie des sciences qui occupe les trois premiers volumes. C’est là peut-être la plus belle partie de son œuvre. Il y expose une théorie de la méthode et de la science, qui, sur bien des points, rejoint celle de Descartes. La science « se compose de lois et non de faits. » Se contenter, pour constituer la science, d’amasser des faits, si nombreux soient-ils, c’est « prendre une carrière pour un édifice. » Le but de la science est de substituer la prévision rationnelle à la constatation empirique des faits.

De cette philosophie des sciences, que nous ne saurions exposer ici, même sommairement, on ne connaît guère, en général, que la classification proposée par Comte dans la seconde leçon du Cours. Sans doute, cette classification célèbre mérite qu’on s’y arrête. Elle est à peu près adoptée par les sa vans de tous les pays. Comme le système métrique, c’est une trace du clair génie français dans le monde. Mais, quelle que soit son utilité, Comte y voyait surtout une « hiérarchie » des sciences, rangées dans leur ordre de complexité croissante. Elle lui sert à montrer comment la méthode positive a conquis tour à tour les diverses classes de phénomènes, compensant dans une certaine mesure les difficultés grandissantes par l’emploi de procédés plus nombreux, et s’élevant enfin, avec la sociologie, au point de vue philosophique, « universel », d’où s’aperçoit tout l’ensemble du réel. Alors se dégagent les lois les plus générales, communes à tous les ordres de phénomènes, les lois « encyclopédiques » dont l’ensemble forme la « philosophie première » que Bacon a entrevue.

Mais Comte, pour rester fidèle à ses principes, ne devait pas essayer de ramener les phénomènes de la nature à un seul ordre qui les contiendrait tous. Il condamne, au contraire, comme métaphysique, la philosophie qui poursuit une unité « aussi oppressive que chimérique. » Selon lui, à chaque degré de l’échelle