Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/439

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notre caractère, pendant le rêve, n’est pas au contraire plus complètement lui-même ; s’il n’apparaît pas, avec quelque chose de plus nu et de plus cru que pendant la veille. J’ai souvent été surpris des révélations psychologiques du rêve : tel défaut, telle faiblesse qu’on ne s’avoue pas à l’état normal, s’accusent alors avec une netteté inexorable ; on cède à des tentations qu’on écartait pendant la veille, mais qu’on aimait ; des lâchetés que l’on renfermait au fond de soi-même se font jour ; des antipathies qu’on se dissimulait à soi-même se trahissent ; des désirs sourds éclatent ; des amours obscurs se déclarent : il se produit des événemens qui forcent, comme dans un drame, le fond caché de notre être à se dévoiler. Souvent, au réveil, on se dit : « C’est vrai ; dans des circonstances pareilles, c’est ainsi que j’agirais ; je ne l’avais jamais pensé ; je n’en suis pas fier ; mais c’est vrai. » Toutes les personnes sincères avec elles-mêmes ont, j’en suis sûr, éprouvé cette impression. — On ne se connaissait pas ainsi et pourtant on se reconnaît.


II

En somme, il n’y a, entre le rêve et la veille, que deux différences réelles et dont il restera d’ailleurs à apprécier l’importance. Voici la première : pendant la veille, je sais qu’il y a un autre état, que j’appelle le rêve. Au contraire, pendant le rêve, j’ignore qu’il y ait un autre état, qui s’appelle la veille. — Pendant la veille, je me souviens que j’ai rêvé, que j’ai vécu de cette vie fantastique des songes, et que j’en suis sorti, pour rentrer dans la vie réelle, complètement distincte et séparée de l’autre ; je suis dans un « état premier », mais je sais qu’il y a un « état second » ; et c’est précisément parce que je les compare, que je juge l’un absurde par rapport à l’autre. — Au contraire, quand je rêve, je n’ai pas l’idée d’un autre état, dont je suis sorti, et où je dois rentrer ; je ne sens pas qu’il y a une autre existence, radicalement séparée ; je ne compare jamais les visions de mes songes avec le monde de mes veilles : car j’ignore cet autre monde. Peut-être le trouverais-je absurde par rapport au monde du rêve, si je faisais la comparaison. Mais je ne la fais pas. Je n’ai jamais conscience d’être dans un « état second ». J’ai l’impression d’avoir toujours vécu de cette vie-là, qui me paraît si naturelle. Il est vrai que je me demande quelquefois — dans mon rêve même — si je ne rêve pas :