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souvenirs ; tant c’est un monde inédit qui alors se révèle à nous. Si l’on nous dit que nos rêves dépendent pourtant, d’une façon incontestable, de notre état personnel et surtout de nos fonctions organiques : digestion, circulation, etc., nous répondrons qu’il faut distinguer : ce qui dépend de l’état organique, ce ne sont pas les objets que nous voyons en rêve ; ce sont les émotions que nous causent ces objets ; c’en est toute la partie « affective » ; de même que, dans la veille, les mêmes objets nous étant donnés, l’émotion qu’ils produisent on nous dépend du ton général de notre être. — L’explication de l’incohérence n’est pas non plus indiscutable. D’abord, nous l’avons vu, cette incohérence pourrait fort bien n’être qu’apparente ; elle nous frappe, une fois réveillés, elle nous échappe, endormis ; il n’y a peut-être là qu’un changement de point de vue. De plus, au lieu de l’expliquer par le simple mécanisme mental de « l’association », par les caprices de « l’imagination », peut-être faut-il l’expliquer par la bizarrerie réelle des objets invisibles qui se manifestent alors à nous ; comme dirait Epicure, par la combinaison étrange des atomes qui circulent autour de nous. — Enfin, la croyance à la réalité des objets rêvés, — qu’on explique si savamment par le jeu des images, par la lutte pour la vie des imagos entre elles, par « l’objectivation » de toute image qui n’est pas contredite — pourrait à la rigueur s’expliquer, d’une façon infiniment plus simple, par la réalité vraie de ces objets.

Voilà ce que notre comparaison nous apprend sur le rêve ; que nous apprend-elle maintenant sur « la réalité », sur le monde sensible, sur la vie actuelle ?

Ce qu’elle nous apprend, c’est que, si le monde sensible est réel, cependant il n’est pas la réalité unique et définitive ; il existe, il est indépendant de nous, mais nous concevons qu’il doit finir, et faire place à un autre ; nous le prenons toujours au sérieux, nous ne le prenons plus au tragique. Nous pensons au réveil.

Avant tout, le monde sensible est réel, il y aurait peut-être lieu de retoucher les théories régnantes sur la « perception extérieure », comme les théories régnantes sur le rêve. La seule objection vraiment grave contre la réalité du monde sensible, l’objection du rêve, étant écartée, on pourrait essayer une théorie entièrement réaliste, entièrement satisfaisante pour le sens commun. — On poserait en principe, comme Epicure, que toute sensation est vraie, toujours, en tous cas ; qu’elle est bien un contact