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bien après cela que la critique ne soit pas toute l’opinion, mais il semble bien qu’elle en fasse partie.


Dès que l’impression fait éclore un poète
Il est esclave né de quiconque l’achète ;
Il se soumet lui-même aux caprices d’autrui
Et ses écrits tout seuls doivent parler pour lui.


Ai-je besoin d’insister ? et ne voit-on pas clairement ce qu’il y a d’abusif à se réclamer du « droit de réponse » en matière de critique littéraire ? et si la lettre de la loi le permet, n’est-il pas évident que c’est le cas, ou jamais, de la vivifier par l’esprit ?

En réalité, le « droit de réponse » n’a pas été inscrit dans la loi pour procurer à une espèce d’hommes qui ne vit que de publicité les moyens de profiter de cette publicité, quand par hasard on y trouve son compte, et inversement, d’en venir entraver la libre expression, quand les inconvéniens de cette publicité se font voir. On ne joue pas, si l’on ne sait pas perdre ! Ce que le législateur a uniquement voulu protéger, c’est la vie privée, c’est l’honneur du citoyen, c’est la dignité de la polémique, c’est la vérité des faits. « Répondre », au vrai sens de la loi, c’est redresser une allégation fausse ; c’est repousser une imputation injurieuse ; c’est interdire à un journaliste indiscret de se mêler de ce qui ne le regarde pas. Et comme il peut arriver, comme il arrive tous les jours, — nous en convenons avec tristesse, — qu’on articule des faits imaginaires, ou qu’on injurie des adversaires, ou qu’on donne à une opinion littéraire, philosophique, politique, un air d’agression personnelle, il se peut qu’à propos de critique dramatique ou littéraire, un auteur ou un artiste ait vraiment le droit et le devoir même de « répondre ». Mais, en dehors de ces trois cas, qui sont faciles à déterminer en termes généraux, et dont on pourrait abandonner sans difficulté les applications particulières à la sagesse des tribunaux, c’est la liberté même de la critique et de la presse qui est engagée dans l’affaire du a droit de réponse ».

La critique n’est plus libre, s’il lui est interdit de blâmer ; et c’est manifestement ce qui lui est interdit, dès que le fait seul d’avoir « nommé ou désigné », sans le louer, un écrivain ou un artiste confère à celui-ci le droit de répondre, — entendez dans le même journal, — et de s’ériger ainsi en souverain juge de sa propre cause. Tel qu’il est défini par la loi, le droit de réponse est une pénalité ; et ceci est contre tous les principes, ou du moins contre toute justice : premièrement qu’une pénalité soit infligée par la partie plaignante ; et secondement qu’il y ait matière à une pénalité là où il n’y a point de faute. Quelle