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Mais, sur tout le reste, il était naturel qu’il suivît le courant général, et qu’entré à l’Ecole normale au lendemain de la révolution de juillet 1830, après avoir même essayé de prendre part au combat, il ait partagé dans toute leur effervescence les passions généreuses et aussi les illusions, et même les préjugés, de la jeunesse contemporaine. Il fut animé de bonne heure de cet esprit d’opposition qui fit un crime à la royauté nouvelle de ne pas pousser à ses conséquences extrêmes, et surtout de ne pas propager au dehors, le mouvement démocratique et libéral dont elle était issue. La sévérité de ce jugement que, plus tard, l’âge et l’expérience durent lui apprendre à tempérer, durait encore quand il fut rappelé inopinément, d’un poste de début où on l’avait placé en province, pour venir enseigner l’histoire à Paris, au collège Henri IV, dont le roi Louis-Philippe faisait suivre les cours à ses plus jeunes fils. On l’avait désigné pour cet emploi de confiance, uniquement parce qu’il était porté le premier sur la liste d’agrégation. C’était un choix qui montrait que dans l’entourage royal on tenait peu de compte de l’opinion quand la capacité était démontrée, et en tout cas, qu’on ne mettait aucun esprit d’inquisition à s’en informer. Les préventions de Duruy ne furent pourtant pas désarmées, si peu même, que les prévenances marquées dont il fut l’objet la première fois qu’il fut reçu aux Tuileries, loin de le toucher, paraissent, au dire de M. Lavisse, lui avoir causé une maligne surprise, comme s’il les eût jugées contraires à ce qu’il attendait de la dignité royale. Il resta, dès lors, malgré cet accueil bienveillant, sur le pied d’une froide réserve avec la famille de ses élèves : ce qui ne l’empêcha pourtant pas de concevoir pour eux un attachement sérieux, et plus tard, de suivre avec un intérêt constant, dans toutes les épreuves de sa destinée agitée et brillante, celui d’entre eux que la France et les lettres viennent de perdre.

Entré de bonne heure en ménage, le traitement d’un professeur-adjoint ne pouvait lui suffire pour subvenir aux besoins d’une jeune famille qui s’accrut rapidement ; un supplément indispensable lui fut fourni par la composition de livres classiques que lui confia la grande maison de librairie Hachette, alors comme aujourd’hui en possession d’une clientèle scolaire très étendue. Ce fut une série de manuels portant à peu près sur tous les sujets imaginables d’histoire et de géographie. M. Jules Simon en a fait une énumération vraiment effrayante : il n’en a pas