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jeune fille, lui plut de prime abord, et fut agréé sans délai. Publié le 1er avril 1753, le mariage fut célébré le 3 du mois suivant, dans la chapelle de Versailles, par le cardinal de Soubise ; et quelques heures après, selon l’ancien usage, la nouvelle épousée, étendue sur le lit nuptial, recevait « en grand habit » la visite et le compliment du Roi.

Le jeune couple, dès le lendemain, s’en fut à Chantilly. Des fêtes splendides l’y attendaient, dans le détail desquelles je ne saurais entrer ici ; il y eut bals, illuminations et feux d’artifices, tables dressées chaque jour pour quatre cents convives, « sept mille bougies » toutes les nuits dans les salles du château, promenades sur le canal en vingt-quatre gondoles, magnifiquement parées et escortées de barques chargées de musiciens ; bref, six semaines d’enchantemens continus et de « surprises merveilleuses » dignes des contes de fée. Mais le plus rare et le plus beau spectacle fut le bonheur des deux époux, sincèrement épris l’un de l’autre. Ce mari de dix-sept ans conquit dès le premier jour le cœur d’une femme qui en comptait seize à peine ; et jamais tendresse légitime ne se montra plus durable. Les contemporains rapportent ce phénomène, et nous en avons pour garant les lettres que, pendant les absences de son « cher enfant », la princesse lui adressait avec une régularité quotidienne[1]. Ce sont des effusions à la fois ardentes et enfantines, dont la monotonie même a quelque chose de touchant : « Mon cher enfant, je t’aime de tout mon cœur ; vous savez qu’il faut peu d’amitié de votre part pour m’enchanter, votre lettre me tourne la tête... Dites-moi si vous m’aimez toujours, c’est tout ce qui m’intéresse... Je ne souhaite que le retour d’un mari dont je suis folle, qui fait tout le bonheur de ma vie quand je suis avec lui et tout mon malheur lorsque j’en suis séparée. » La vivacité de cet amour est telle qu’elle lui fait parfois oublier les sentimens qui conviennent à l’épouse d’un Condé, à la fille d’un Soubise. Quand les longues campagnes de la guerre de Sept ans retiennent le prince sur les champs de bataille, la valeur qu’il déploie, la gloire qu’il s’acquiert la trouvent tout à fait insensible. Le seul objet qui l’occupe est la conservation d’une vie si précieuse : « Je suis enchantée du départ des ennemis, écrit-elle, pourvu que vous ne les suiviez pas, et les laissiez passer la Lippe tout à leur aise. » Quelque temps après : « Le comte de Broglie

  1. La plupart de ces lettres sont conservées aux Archives nationales.